Les débats télévisés du premier tour de l’élection présidentielle représentent une nouvelle étape dans le processus de transition démocratique.
Largement diffusés par des médias audiovisuels publics et privés tunisiens, ce rendez-vous étalé sur trois soirées successives est censé clarifié l’offre politique des 26 candidats. Un nombre qui appelle une sélection démocratique. Au-delà des programmes des uns et des autres, la personnalité des candidats sera également scrutée par les Tunisiens, qui auront à cœur de vérifier si les prétendants à la magistrature suprême sont dignes de la fonction. A l’heure où la défiance citoyenne à l’égard des partis et acteurs politiques atteint des sommets, les candidats seront aussi jaugés quant à leur capacité à se montrer digne d’un tel évènement médiatique (et démocratique ?).
Un rendez-vous médiatico-politique né aux Etats-Unis
L’usage consistant à organiser des débats télévisés dans le cadre d’une campagne présidentielle est né aux Etats-Unis. La pratique démocratique est relativement récente et coïncide avec la transformation de la société avec le développement des nouveaux modes de consommation et de communication. Le premier débat télévisé présidentiel a lieu ainsi en 1960, et ce n’est qu’en 1976 qu’une nouvelle série de débats télévisés présidentiels a lieu durant la fin de la campagne électorale. Si la campagne des primaires au sein de chaque parti donne désormais lieu également à des débats télévisés, le grand moment médiatico-politique correspond aux débats opposants les candidats des deux grands partis (démocrate et républicain).
En France, l’évènement médiatico-politique intervient dans l’entre-deux tour de la campagne présidentielle. Au terme du 1er tour de l’élection, les « finalistes » incarnent et représentent traditionnellement l’échiquier politique bipolaire structuré par le face-à-face « gauche-droite ». La montée de l’extrême-droite trouble néanmoins ce schéma, comme l’atteste l’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002, puis de sa fille en 2017. Si Jacques Chirac a refusé de débattre avec le père du Front national, Emmanuel Macron a accepté le duel avec son héritière. L’expérience scella le sort de Marine le Pen, le débat télévisé ayant « révélé » l’inconsistance et l’incohérence de la candidate d’extrême-droite. Tel est le revers de la médaille à la participation à un tel exercice. Tous les candidats à l’élection présidentielle tunisienne ont-ils bien pris la mesure de ce risque ?
Des candidats à la hauteur de l’événement ?
La nature « démocratique » de ces débats télévisés dépend de leurs propres conditions d’organisation : respect de l’équité du temps de parole, impartialité des journalistes, mais aussi qualité des interventions et échanges entre les différents acteurs.
La politique ne saurait être réduite à des questions d’ajustements techniques : ils sont affaires de choix en matière de modèle de développement, de projet de société. Or de tels choix ne s’imposent pas d’eux-mêmes : ils procèdent d’un débat d’idées. L’hystérisation et la vacuité qui caractérisent trop souvent le débat public nourrissent le « malaise démocratique ». Un débat public qui tend à se confondre avec des polémiques aussi violentes que stériles, animées par des arguments d’autorité, des stratégies de communication et autres jeux d’ego. Trop d’acteurs de la vie publique tunisienne se complaisent dans les postures, le langage outrancier et les opinions caricaturales, se détournant allègrement des exigences constitutives de la vie des idées et de la pensée critique. La télévision elle-même est entrée dans l’ère du « clash » et du « buzz », au point de se montrer incapable d’organiser des débats structurés et argumentés.
La défiance à l’égard du politique traduit moins une indifférence à l’égard de la chose publique qu’un scepticisme ambiant quant à la capacité du politique à « changer la vie », à proposer une offre plurielle ou des alternatives réalistes. Un débat d’idées digne de ce nom est l’une des réponses à la crise politique. La montée du populisme, la fin de l’Histoire n’est toujours pas à l’ordre du jour. Ce type d’illusion nourrit notre « démocratie de la défiance. Un exercice technocratique du pouvoir politique s’avère incapable de penser un modèle alternatif, tandis que les traditionnelles boussoles idéologiques qui structuraient naguère l’imaginaire collectif demeurent inopérantes.
Dans une société de la communication, la démocratisation rime forcément avec la médiatisation de la compétition électorale. Cette équation ne va pas de soi et doit être régulée, encadrée, pour que le débat politique soit au service de l’information des citoyens et qu’il ne se réduit pas à une lutte d’egos qui relève plus de la « société du spectacle » que d’une société démocratique.