La Tunisie vit en ce moment au rythme de la campagne électorale pour les élections législatives. Elles auront lieu le 6 octobre 2019 dans 27 circonscriptions électorales à l’intérieur du pays et 6 circonscriptions à l’étranger. Objectif: élire la deuxième Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) après la Révolution.
Après l’Assemblée nationale constituante (ANC) de 2011, d’aucuns estiment que le deuxième parlement post-révolution a réussi durant le mandat (2014–2019) à adopter plusieurs projets de loi considérés comme « révolutionnaires ».
On cite notamment la loi incriminant toute forme de discrimination raciale (octobre 2018), la loi contre les violences faites aux femmes (juillet 2017). Ainsi que la loi relative au droit d’accès à l’information (2016).
Il s’agit aussi de la ratification par la Tunisie de l’adhésion à plusieurs accords et conventions importantes. Il en est ainsi de la convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants de l’exploitation et de l’agression sexuelle. De même pour la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
333 lois adoptées
Le responsable de l’information à l’ARP, Hassen Fathalli, a indiqué que le nombre de lois adoptées durant ce mandat s’élève à 333 touchant différents secteurs. Soit en moyenne 67 lois au cours de chaque session parlementaire. Selon lui, la cinquième et dernière session de la première législature a enregistré un nombre important de lois adoptées. Soit 86 propositions et projets de loi.
Ce parlement post-révolution a aussi tenu 8 assemblées plénières consacrées au vote de confiance au gouvernement ou à des membres du gouvernement. 20 autres séances de dialogue ont eu lieu avec le gouvernement ainsi que 909 questions orales. Parmi elles 756 adressées aux membres du gouvernement. Hassen Fathalli ajoute que le parlement a aussi adressé 2041 questions écrites et reçu 1352 réponses.
Les commissions ont adopté trente projets de loi relatifs au renforcement de l’investissement et au développement dans les régions. En plus, elles ont approuvé 159 projets de loi sur le financement des projets et 12 projets de loi relatifs au secteur de la santé. Le parlement a aussi adopté 10 projets de loi qui concernent le secteur de l’éducation et 7 autres relatifs au domaine culturel.
Échec de la mise en place des instances constitutionnelles
Toutefois, des voix se sont élevées pour critiquer le « laxisme » du parlement et son « rendement mitigé ». Particulièrement à cause de l’absentéisme des parlementaires au sein des commissions ou des séances plénières. Ce qui a impliqué le blocage de nombreux projets soumis pour examen. A cela s’ajoute la non adoption des lois portant sur la mise en place des instances constitutionnelles mentionnées dans la Constitution et l’élection de leurs membres.
La Constitution de 2014 a prévu la création de cinq instances constitutionnelles. Il s’agit de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, de l’Instance de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Il en est de même de l’Instance du développement durable et des droits des générations futures, de l’Instance de l’audiovisuel et de l’Instance des droits de l’Homme.
Durant cinq sessions parlementaires de la première législature (décembre 2014-juillet 2019), la plupart de ces instances n’ont pas vu le jour. A l’exception de l’ISIE dont la création a été cruciale pour l’organisation des élections législatives et présidentielles d’octobre-novembre 2014.
Certes, l’Assemblée des représentants du peuple a adopté les lois portant création de l’Instance de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption (juillet 2017), de l’Instance des droits de l’Homme (octobre 2018). Et aussi de l’Instance du développement durable et des droits des générations futures (juin 2019). Mais les membres de ces instances n’ont pas été élus.
Ainsi, trois sessions ont été consacrées à l’élection de l’Instance de Bonne gouvernance et de lutte contre la corruption sans résultat. Et ce, malgré les nombreuses séances de compromis tenues entre les groupes parlementaires. Aucune séance n’a été cependant organisée pour l’élection des membres des deux autres instances. A savoir l’Instance des droits de l’Homme et l’Instance du développement durable et des droits des générations futures.
Dépassement des délais de la mise en place de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle devait être créée un an après les élections législatives du 26 octobre 2014, comme le stipule la Constitution. Le respect du délai fixé pour son installation ne devait pas excéder le 26 octobre 2015.
Bien que la loi portant création de la Cour constitutionnelle ait été adoptée en 2015, le parlement avait échoué à sa mise en place. A sept reprises, l’élection de ses trois membres restants n’a pu être parachevée. Aucun consensus autour des candidatures proposées par les partis représentés au parlement n’a pu être obtenu.
Parmi les 4 membres que le parlement devrait élire, seule la magistrate Raoudha Ouersghini a réussi en mars 2018 à recueillir les voix nécessaires. Une situation qui a suscité des critiques acerbes en particulier après l’admission le 27 juin 2019 du président défunt Béji Caïd Essebsi à l’hôpital militaire. Des acteurs politiques et de la société civile ayant accusé les partis de la coalition au pouvoir. Ils ont « délibérément choisi de ne pas élire les membres de la Cour. Avec tout ce qui s’ensuit de blocage en cas de vacance aux postes dirigeants de l’Etat ».
Commissions d’enquête parlementaire: où sont les rapports?
La Tunisie post-révolution a connu plusieurs événements marqués par la violence. Ce qui a poussé l’ANC et ensuite l’ARP à créer des commissions d’enquête pour faire la lumière sur ces événements.
À ce propos, une première commission a vu le jour en 2012 au sein de la Constituante. Elle devait enquêter sur des actes de violence survenus à l’Avenue Habib Bourguiba à Tunis, jour de la commémoration de la Fête des Martyrs le 9 avril de la même année.
Le parlement a créé également une deuxième commission pour mener les investigations nécessaires sur les tirs de chevrotine essuyés à Siliana en 2013. Les forces de l’ordre ainsi que le ministre de l’Intérieur étaient impliquées. Cependant certaines commissions créées n’ont mené aucune enquête ou rendu leur rapport à cet effet.
A quoi sert cette pluralité de commissions ?
Les commissions créées au sein de l’ARP et sous son autorité n’ont pas eu plus de chance que celles précédentes. Plusieurs ont été créées, d’autres ont été proposées pour être mises en place. Mais toutes ces commissions sont restées à la merci des luttes et des querelles florentines entre les différents blocs parlementaires.
En 2016, une commission d’enquête a été mise en place pour faire la lumière sur l’affaire de « Panama Papers » (documents panaméens confidentiels fuités depuis le cabinet d’avocats « Mossack Fonseca »). l’affaire impliquait des personnalités politiques tunisiennes. Une autre en 2017 a vu le jour. Elle devait enquêter sur les réseaux d’embrigadement, d’enrôlement et d’envoi des jeunes Tunisiens dans les zones de conflits. Même si cette dernière commission a tenu des réunions, a procédé à l’audition d’experts, de représentants d’associations et d’organisations. Cependant elle n’a pas réussi à faire bouger les lignes.
La commission d’enquête sur les dégâts causés par les inondations qui ont touché le gouvernorat de Nabeul en septembre 2018. Ainsi que celle formée pour examiner la question du classement fin 2017 de la Tunisie en tant que paradis fiscal par l’Union européenne. Ont elles aussi désenchanté par leur silence.
Mutisme des commissions d’enquête
Les députés pointent du doigt l’absence du cadre législatif et des mécanismes juridiques. Ils évoquent la marginalisation en règle de leur travail par le pouvoir exécutif. Tout cela pour expliquer le mutisme des commissions d’enquête et les entraves à leur bon fonctionnement.
Cependant plusieurs groupes parlementaires ont essayé de changer le statu quo des commissions en présentant un projet de loi organisant le travail des commissions d’enquête. Dans ce sens, la commission du règlement intérieur a entamé l’examen dudit projet de loi depuis fin janvier 2017. Sans pour autant le parachever, obligeant d’une certaine manière les commissions d’enquête parlementaire à se muer en simples documents d’archives.