Les démocraties occidentales autorisent la publication des résultats des sondages d’opinion durant la campagne électorale. L’interdisant le jour du vote et à celui qui le précède.
C’est devenu un proverbe français assez connu. Il dit ceci : « La nature a horreur du vide». Un proverbe qui va comme un gant, pourrait-on dire, au vécu des sondages d’opinion politiques en Tunisie. L’interdiction de leur publication ne peut que favoriser pour ainsi dire leur retour au galop.
D’où cette question primordiale : pourquoi la loi tunisienne a-t-elle interdit la publication de ces résultats. Notamment en période de campagne électorale ? Et ce, selon l’article 70 de la Loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums.
Deux raisons fondamentales
Les lois française, américaine, anglaise ou encore allemande se sont-elles du reste trompées en les autorisant ? Exception évidemment faite des deux jours qui précèdent le vote. Un benchmarking aurait prouvé que les démocraties qui comptent dans le monde ont abandonné les restrictions.
Prenons le cas précisément de la France. Dont une partie de nos lois s’inspirent. La loi de juillet 1997 prévoyait au départ une restriction d’une semaine. Mais cette disposition a été revue et corrigée en février 2002. Et ce, pour être limitée au jour du scrutin et à celui qui le précède.
Si ceux qui ont élaboré la loi électorale tunisienne avaient pris la peine d’étudier les raisons qui ont poussé à l’abandon de la restriction inscrite dans la loi française de 1977, ils auraient appris qu’elles sont au nombre de deux.
D’abord, la loi a été détournée par la publication des résultats de sondages en dehors du territoire français et sur Internet. Ensuite, la restriction est en contradiction flagrante avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, signée par la France.
Plutôt une loi sur les sondages d’opinion politiques
Au lieu d’interdire les sondages d’opinion en période de campagne électorale, le législateur aurait peut-être mieux fait de faire voter une loi sur ces sondages, avec la mise en place des garde-fous nécessaires.
Ainsi, la loi française a institué une Commission des sondages. Qui a la haute main en tant qu’institution de régulation avec à la base des règles strictes de conduite. Comme la publication d’une notice pouvant être consultée, le texte intégral des questions posées, le nom du commanditaire, le nombre des personnes interrogées, la date du sondage… A noter que les membres de la commission de régulation sont désignés par un ensemble de structures parties prenantes de l’activité.
De toute façon, l’interdiction de publier les résultats des sondages d’opinion, prévue par la loi, n’empêche pas leur réalisation. Loin s’en faut. Il suffit de lire l’enquête réalisée par notre confrère Inkyfada sous le titre « Une campagne électorale hantée par les sondages » (13 septembre 2019) pour s’en convaincre. Les partis politiques continuent ainsi à commander des sondages d’opinion.
De faux sondages
Usons d’un autre proverbe pour montrer à quel point la loi peut être détournée : « La mauvaise monnaie chasse la bonne ». Chacun d’entre nous a ainsi remarqué la publication dans cet outil électronique –incontrôlé- qu’est Facebook des sondages d’opinion. Dont beaucoup ne peuvent en toute logique n’être que des faux.
Terminons cette chronique par dire que si ceux qui ont pensé à introduire l’interdiction évoquée plus haut avaient pris la peine d’étudier les effets des sondages d’opinion en période électorale, ils se seraient rendus compte –une riche littérature existe à ce niveau- qu’ils produisent l’effet et son contraire.
« Bandwagon » et « underdog » sont deux concepts popularisés par la littérature de la sociologie électorale qui dit que les sondages renforcent, dans certains cas, la sympathie en faveur des candidats que les sondages donnent gagnants (le premier) mais qu’ils produisent l’effet inverse : ils créent de la sympathie, dans d’autres cas, pour les candidats donnés perdants (le second).