Egypte, Algérie, Maroc, Irak,… Derrière la nouvelle vague de soulèvements populaires contre les régimes corrompus dans le monde arabe, il y a le même mouvement né il y a près d’une décennie. Déjà animé par un appel à la dignité.
Cette seconde vague de soulèvements conforte l’idée suivant laquelle le monde arabe est entré dans une profonde phase de mutation politique.
Des mobilisations du Maroc à l’Irak
Même si le Soudan semble connaître une phase de calme. Après un mouvement aboutissant à la destitution du général el-Béchir. D’autres pays du monde arabes sont saisis par l’irruption de soulèvements populaires. Ils sont animés par des causes qui font directement écho aux révoltes de 2011.
Tout d’abord en Egypte, malgré la répression et les milliers d’arrestations, une nouvelle génération de manifestants descend dans la rue pour dénoncer sa condition. Car, derrière la stabilité apparente du régime du président Al-Sissi, le pays ne connaît ni la sécurité, ni la croissance économique nécessaire à la création d’emplois et de richesses. Les déséquilibres structurels qui contribuèrent au soulèvement populaire de 2011 demeurent prégnants: dépendance alimentaire et financière; pauvreté croissante…
Ainsi, le libéralisme économique et l’intégration de l’économie égyptienne dans l’économie mondiale ne profitent qu’à un petit nombre. Bien que le pays connaisse alors un véritable essor économique. Les inégalités sociales s’accentuent et la pauvreté explose sous le poids de l’accroissement démographique.
Irak, Algérie, Maroc
Ensuite, en Irak, les révoltes nées il y a près d’une semaine ont fait plus de 100 morts et 4 000 blessés. On en connait les causes: le chômage massif qui touche la jeunesse; la corruption endémique (selon des chiffres officiels, près de 410 milliards d’euros d’argent public était détourné en quinze ans). Et des services publics défaillants, y compris en matière d’accès à l’électricité. Alors qu’il est le cinquième pays au monde en termes de réserves de pétrole.
Puis en Algérie, pour la première fois depuis près de 20 ans, plusieurs dizaines de milliers de citoyens se mobilisent. Et ce, à travers des manifestations pacifiques dans les grandes villes du pays. La rupture entre le peuple et le « système » est consommée. Même si ce dernier ne lâche toujours pas le pouvoir. La chute du « clan Bouteflika » n’a pas encore mis fin à la main mise de l’institution militaire sur l’appareil d’Etat. Un système opaque responsable de la défaillance économique et sociale du pays. Avec en toile de fond, le fléau de la corruption qui mine l’administration comme l’ensemble du tissu économique et social.
Quant au Maroc, la tension dans la société est montée d’un cran. En effet, la récente condamnation judiciaire à un an de prison ferme de la journaliste Hajar Raissouni pour « avortement illégal » témoigne d’un climat liberticide de plus en plus pesant pour les journalistes. Mais le mouvement contestataire Hirak est toujours actif. D’ailleurs, il prépare une Marche le 26 octobre, à Rabat, à la mémoire Mohcine Fikri. Ce marchand de poissons qui est mort dans des circonstances dramatiques.
De ce fait, si des irréductibles particularismes (économiques, sociaux, communautaires, tribaux, religieux, etc.) marquent ces sociétés; celles-ci sont traversées par une même dynamique globale. Car, la puissante onde de choc de la révolution tunisienne provoqua une vague de contestations populaires de nature et d’intensité variables. Et une rupture systémique est à l’œuvre dans un monde arabe en mutation.
Une révolution culturelle
Une dynamique à la fois interne et transnationale est à l’origine de l’avènement d’un nouveau paradigme au sein du monde arabe. La plupart des sociétés ont franchi un point de non-retour. La profonde onde de choc de 2011 se poursuit, s’approfondit et connaîtra des répliques révolutionnaires et contre-révolutionnaires.
De manière plus prosaïque, c’est aussi la question du pouvoir et du renouvellement de l’élite politique, militaire, administrative, judiciaire et policière qui est posée aux nouveaux régimes.
Si le « réveil arabe » confirme la complexité et la diversité des clivages territoriaux, sociaux, religieux qui structurent le monde arabe, la signification essentielle de cette séquence historique est de nature immatérielle : la chute du « mur de la peur » (de la violence) qu’inspirait le pouvoir autoritaire.
Une prise de conscience individuelle et collective de la capacité des citoyens/peuples à (re)prendre leur destin en main prend forme. Une capacité qui écorne passablement la condition d’assujetti à laquelle les cantonnait un regard essentialiste.