Selon le FTDES, le nombre de migrants arrivés en Tunisie double en un an (entre le premier semestre 2018 et celui de 2019). L’immigration des Subsahariens qui franchissent la Méditerranée depuis la Tunisie passant de 10% en 2018 à 50 % au cours de l’été 2019. Et ce, selon l’Observatoire des migrations.
Si la question des immigrés est relativement nouvelle en Tunisie, elle est ancrée dans la vie publique française depuis des décennies. En invitant à « regarder en face » la question de l’immigration, le président Emmanuel Macron se plie à cet exercice imposé. Il n’y a ainsi rien à attendre d’un débat qui risque d’attiser les fractures françaises, à défaut de vouloir/pouvoir les résorber.
La naissance de la question
Ainsi, la France est le plus ancien pays d’immigration en Europe. Dès la seconde partie du XIXe siècle une immigration de masse est venue combler les pénuries de main-d’œuvre. Après la Seconde Guerre mondiale, il est neutralisé par les besoins en main d’œuvre de la Libération, puis par la forte croissance économique des Trente glorieuses. Cependant, le thème de l’immigration se cristallise dans les années 1970.
En effet, le choc pétrolier et ses conséquences socio-économiques modifient la donne. Le président Giscard d’Estaing met fin en 1974 à l’immigration de nouveaux travailleurs. Il met en place des aides financières au retour (sans succès) et… défend l’idée d’un renvoi massif de travailleurs immigrés[1]. Le contexte est alors propice au durcissement progressif de la législation en matière d’entrée et de séjour des étrangers en France. Car, la conjugaison d’une crise sociale (avec un chômage structurel et massif) et d’une crise des idéaux collectifs de substitution (déclin du marxisme) ont aiguisé le développement d’un sentiment de vulnérabilité dans la société française. Une promotion discursive et politique du thème de l’immigration qui aboutit in fine à une représentation de la société française structurée autour d’une opposition entre un « nous » et un « eux ». Les immigrés et les « Français d’origine » sont alors jugés responsables des maux de la France.
La montée de l’extrême droite
Dans les années 1980, cette mise en accusation orchestrée par le discours de l’extrême-droite frontiste s’est progressivement diffusée. Et ce, à la majeure partie de l’échiquier politique, y compris à gauche. Certes, la victoire de François Mitterrand est associée à la régularisation de 130 000 étrangers et la suppression de la politique de « l’aide au retour ». Mais les premiers signes du discours vallsiste apparaissent. Ainsi, un autre Premier ministre socialiste- Laurent Fabius, pour ne pas le citer- considère que « Le Pen pos[ait] les vraies questions ». Tandis que son prédécesseur Pierre Mauroy déclare, à l’endroit d’ouvriers en grève, que : « Les travailleurs immigrés sont agités par des groupes religieux et politiques; qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. »
Quant à la droite parlementaire, le RPR (de Jacques Chirac) de l’époque n’avait rien à envier au parti de Marine Le Pen aujourd’hui. La stigmatisation de l’immigration est intégrée dans son propre corpus idéologique. Une rigidité assumée par Jacques Chirac lui-même, celui des « bruits et des odeurs ». Issue du Front national, la référence aux « Français de souche » et au « racisme anti-blanc » s’est étendue à la droite « républicaine » version UMP.
La renaissance du débat sur l’immigration
Une dérive incarnée et consacrée par Nicolas Sarkozy. D’ailleurs, il restera dans l’histoire comme le président de la Vᵉ République qui prenait la responsabilité d’institutionnaliser la question de l’identité nationale. Puisque suivant la même logique, à mi-mandat, Nicolas Sarkozy juge « nécessaire » l’ouverture d’un débat sur l’identité nationale. Ponctué de dérapages xénophobes au sujet de l’islam et des minorités ethno-culturelles, le « débat » tournait court, clos au bout de trois mois. Sans avoir pu dégager une quelconque définition positive de l’« identité nationale » : ce qu’elle est substantiellement. Le ministère de l’identité nationale est supprimé en novembre 2010 lors du remaniement gouvernemental. Même si l’idéologie qui le sous-tend a continué d’accaparer l’agenda politique.
Le retour de la gauche au pouvoir en 2012 n’a pas mis fin au débat. Point n’est besoin de revenir sur les déclarations intempestives de Manuel Valls, figure centrale du quinquennat de François Hollande (en tant que ministre de l’Intérieur et Premier ministre). Il suffit ici de rappeler l’idée défendue par le couple exécutif. Celle d’inscrire, dans la Constitution, la possibilité de la déchéance de la nationalité pour les binationaux convaincus d’actes de terrorisme.
Ainsi, la déchéance de nationalité des binationaux contient une rupture symbolique avec l’un des principes fondamentaux de la République. A savoir l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine, de race et de religion.
Emmanuel Macron, l’héritier d’une tradition politique
Ce type de proposition initiée par l’extrême droite et défendue par la gauche au pouvoir finit de brouiller le vieux clivage. Celui entre « nationalisme » de droite, qui condamne le danger que représentent les « étrangers »; et « patriotisme » de gauche, qui fait primer le social sur le national.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron est l’hériter de tradition politique qui consiste à instrumentaliser la question de l’immigration. Il la réactive faute de résultats économiques et sociaux probants. « La France ne peut pas accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien », défendait-il le 25 septembre. A quelques jours d’un débat à l’Assemblée nationale qu’il initiait lui-même.
En ce sens, le refus de porter assistance à l’Aquarius est topique. Pour justifier le refus d’ouvrir nos ports, la France s’est engluée dans une série d’arguties juridiques. Ils contribuaient in fine à légitimer le discours anxiogène sur l’accueil des réfugiés, réduits à une menace sécuritaire et identitaire.
Par ailleurs, le débat sur l’immigration initié par le président Macron vise a priori à contrer la montée du Rassemblement national en relevant les défis migratoires. Une stratégie officielle qui peut se justifier, mais qui ne saurait ignorer la réalité (statistique et autre) du phénomène migratoire.
La France, une attractivité fantasmée
Ainsi, la fameuse « pression migratoire » est à relativiser. Car, la France n’est pas le pays d’Europe recevant le plus de demande d’asile, loin s’en faut. L’attractivité de la France est par trop fantasmée. Autrement dit, l’aide médicale d’Etat (AME) n’insuffle pas d’ « appel d’air ». Le dispositif AME a lui-même fait l’objet d’approximations de la part de membres de la majorité.
Par conséquent, le spectre de l’instrumentalisation du thème de l’immigration n’est pas loin. Or la stratégie de la peur ne profite in fine qu’à l’ancrage des schémas binaires, manichéens et conflictuels.
Enfin, on est tenté de répondre au président Macron: « Oser regarder l’immigration en face, ça veut dire quoi au juste? »
[1] Voir Patrick Weil, Le Sens de la République, Paris, Grasset, 2015.