Comment est-elle perçue la nouvelle diplomatie tunisienne? Va-t-elle préserver les acquis du passé ou encore devra-t-elle faire preuve d’audace? Maître Khadija Moalla, Docteur en droit international et consultante internationale, nous livre son analyse. Interview…
-
leconomistemaghrebin.com : en diplomatie, la Tunisie opte depuis le leader Bourguiba pour la neutralité. Comment voyez-vous l’avenir Mme Khadija Moalla? Croyez-vous qu’il y ait une crainte aujourd’hui ou un renversement de situation? Et ce, selon les premières impressions données par le discours de Kaïs Saïed.
Khadija Moalla: On ne s’invente pas diplomate du jour au lendemain. La diplomatie est l’art de négocier, d’influencer et de servir de la meilleure manière l’image du pays que nous représentons et que nous défendons.
Depuis le Zaïm Bourguiba et alors que nous commémorons le centenaire de Feu Mongi Slim, la Tunisie a une tradition diplomatique bien ancrée et reconnue. Malheureusement, ces dernières années, les différents gouvernements successifs n’ont pas eu de position claire vis-à-vis de notre politique étrangère.
J’en veux pour preuve ce qu’a fait l’ancien président Moncef Marzouki, du temps de la Troika! Non seulement il a contrecarré le principe fondamental de la diplomatie tunisienne. A savoir ne pas s’immiscer dans les affaires internes d’autres pays. En l’occurrence la Syrie. Mais, il s’est permis de rompre nos relations diplomatiques avec l’Etat syrien. Et abriter en Tunisie un soi-disant colloque international des amis de la Syrie qui n’étaient en fait que ses ennemis!
Et le malheur, c’est que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la Troïka n’ont rien fait pour rétablir nos relations avec la Syrie. Ni demander pardon aux peuples frères à qui nous avons fait tant de tort, dont le peuple Syrien et Irakien! Sans parler du crime qu’ont commis ceux qui ont livré Baghdadi El-Mahmoudi!
D’ailleurs, cette politique étrangère a beaucoup nui à l’image de la Tunisie et à sa diplomatie neutre de jadis! Je m’attends à ce que les prochains gouvernants remettent les pendules à l’heure. En corrigeant les erreurs passées et en œuvrant vers une diplomatie digne et responsable. J’espère que ni moi, ni le peuple tunisien n’aurons à nous plaindre.
-
Comment voyez-vous l’avenir de la diplomatie tunisienne?
Khadija Moalla: Sans entrer dans beaucoup de détails, notre diplomatie a beaucoup perdue de son rayonnement passé. La Tunisie a actuellement besoin d’un forum. Il réunirait nos diplomates les plus compétents du Ministère des affaires étrangères; ainsi que celles et ceux qui travaillent aux Nations Unies. Car, au cours des années passées, ils ont accumulé beaucoup d’expérience et d’expertise. L’objectif principal de ce forum étant de définir notre vision et plan d’action de notre politique étrangère pour les 20 prochaines années.
Dans l’immédiat, il est nécessaire, à mon avis, de lancer un dialogue franc avec l’Union européenne, et surtout avec les pays scandinaves, sur nos intérêts mutuels. Et comment peut-on au mieux les servir dans le cadre d’une stratégie gagnant-gagnant.
L’erreur à ne pas commettre serait de recourir à des personnes sans expérience, expertise et vision. Définir notre politique étrangère est un dossier d’une importance capitale auquel une grande attention doit être accordée. Seul le futur nous dira si le prochain gouvernement lui accordera l’importance que ce dossier mérite.
-
Face à une région MENA en ébullition, quel rôle la Tunisie devrait jouer sur le plan diplomatique?
Khadija Moalla: J’espère qu’il n’y aura pas de conflits futurs, nous souffrons déjà suffisamment de l’impact du terrorisme lié à l’extrémisme religieux et autre. Je suggérerais de revenir à notre tradition de neutralité. Mais cela n’empêche pas d’œuvrer à la mise en place d’un dialogue constructif, au lieu de recourir aux armes…
La Tunisie s’est toujours portée au secours des pays arabes et africains
La Tunisie a toujours répondu présent quand il le fallait, que ce soit à travers la Ligue Arabe ou l’Union Africaine, dans leurs moments difficiles. On ne peut jamais oublier le rôle de la Tunisie vis-à-vis du conflit mauritano-marocain à la fin des années 50 et au début des années 60 de l’ère précédente. La diplomatie tunisienne, dirigée en ce temps par Feu Mongi Slim, et sous le patronage direct du Président Habib Bourguiba, n’hésita pas à être aux côtés de la Mauritanie et de son chef Mokhtar Ould Deddah. Et ce, pour soutenir l’indépendance de ce jeune État et parrainer sa candidature à l’ONU. Ce rôle a coûté à la Tunisie le gel de ses relations avec le Maroc. Du temps du Roi Mohamed V. Ce gel a duré jusqu’au Sommet de la Ligue Arabe tenu au Caire en 1964.
Sur le plan international, la Tunisie a vite brillé par sa diplomatie dynamique, intelligente et positive. Avec comme fer de lance Feu Mongi Slim. Il fut le négociateur en chef de la délégation tunisienne lors des pourparlers avec la France pour notre indépendance. Et il fut vite été désigné, juste après l’indépendance en 1956, ambassadeur de la Tunisie aux Nations unies, aux Etats-Unis et au Canada. Avant d’être le premier diplomate arabe et africain à être élu président de l’Assemblée Générale de l’ONU en 1961.
Sans oublier aussi le rôle médiateur de la Tunisie entre le Royaume Jordanien et l’OLP, en septembre 1970, où feu Behi Ladgham a été son principal et brillant modérateur. Et ce n’est pas un hasard si l’ONU a toujours choisi la Tunisie pour faire part de ses forces de paix déployées dans les zones de conflits. Partout dans le monde. Et spécialement en Afrique et en Asie, où nos soldats ont toujours laissé derrière eux une bonne réputation.
-
Quelle position devrait adopter la Tunisie vis-à-vis des soulèvements des jeunes en Algérie, au Liban et en Iraq?
Khadija Moalla: De prime abord, conserver l’attitude de neutralité. Ensuite il faut œuvrer à endiguer pareil soulèvement en Tunisie. Par l’adoption sans tarder d’une politique qui réponde aux exigences et aux besoins des jeunes et de tout le peuple. Les jeunes n’acceptent plus qu’on se moque d’eux avec des promesses qui ne se réalisent jamais, comme cela a été le cas depuis janvier 2011.
Nous ne sommes plus en 2011. Les Tunisiens en ont assez de payer les pots cassés causés par l’amateurisme de ceux qui détiennent le pouvoir. Assumer les commandes du pays est une très lourde charge et sérieuse responsabilité qui doit être exercée avec excellence et perfection. Après neuf ans d’attente, le choix des meilleures compétences et la mise en place des stratégies les plus efficaces s’imposent. Car de nouveaux faux pas seront lourds de conséquences à tous les niveaux et sur tous les plans. A bon entendeur…