Après 2011, le marché de la dette privée a profondément changé.
Avant, l’économie était en situation d’excédent de liquidité. La Bourse de Tunis réalisait un volume d’échanges quotidien moyen qui dépassait les 10 MTND. Les Organismes de Placements Collectifs en Valeurs Mobilières (OPCVM) pouvaient alors clôturer facilement toutes les émissions obligataires. En 2010, ces véhicules d’investissement ont souscrit 73.2% des titres de créances émis sur le marché primaire. Les assureurs, tenus de respecter rigoureusement le catalogue de placements qui leur est imposé, et les banques avaient des parts respectives de 15,1% et 10,4%. Il ne restait quasiment rien pour les autres agents économiques du marché.
Nouvelle physionomie
Huit ans après la Révolution, le tableau est totalement différent. Bien que les OPCVM soient toujours les principaux souscripteurs, leur part est passée à 31,8% seulement. Cette tendance baissière a été confirmée tout au long de la période et l’atterrissage était en douceur.
Il faut bien préciser que les volumes n’ont pas augmenté de manière à expliquer un tel comportement. Les titres de créances émis étaient de 873,9 MTND fin 2018 contre 760 MTND en 2010. Même en valeur absolue, la chute est libre.
En même temps, les banques ont nettement réduit leur exposition en 2018 à son plus bas niveau sur 10 ans. Ces établissements sont largement sollicités pour souscrire aux BTA et les adjudications d’échange qui ont eu lieu l’année dernière ont certainement pesé sur leur allocation des ressources d’investissement. Quant aux assureurs, ils ont consolidé leur part grâce au trésor de guerre qu’ils détiennent.
Le point marquant est l’émergence de nouveaux acteurs, auparavant passifs. Le premier est les « autres personnes morales » dont la part aux souscriptions a dépassé le seuil de 10% lors des deux dernières années. Etant donné que la mauvaise situation de nos entreprises est loin d’être bonne en termes de trésorerie, d’où viennent toutes ces sommes orientées vers les produits de taux ?
A notre avis, il y a une explication plausible à ce contraste. Plusieurs émetteurs, qui ont des relations capitalistiques et financières historiques avec certains groupes, ont sollicité ces derniers pour souscrire à leurs émissions de dettes.
Il ne faut pas oublier qu’avec la dépréciation du dinar, certains opérateurs privés se sont retrouvés avec un excédent de trésorerie qui leur a permis des placements juteux à deux chiffres.
Les obligations émises depuis la fin de 2018 ont brisé le seuil symbolique de 10% et sont devenues, de la sorte, attractives à ces entreprises.
Les épargnants privés sollicités
La deuxième catégorie d’acteurs est les « personnes physiques » avec une contribution en forte hausse depuis 2016. L’année dernière, ils ont assuré 9,9% des souscriptions. Cela montre que les intermédiaires en Bourse et surtout les banques se sont intéressés à cette classe d’épargnants en quête de taux de placements élevés.
Tous les opérateurs économiques savaient que les établissements de crédit se sont lancés dans une course de collecte de dépôts causant une envolée des taux et poussant même la Banque centrale à réviser, à deux reprises, son TRE. Le marché évoquait des placements à deux chiffres pour les belles cagnottes.
Mais cela n’était pas accessible pour les personnes qui ont des sommes moins importantes. Ces emprunts obligataires constituaient donc une excellente opportunité pour rentabiliser une petite épargne. Les réseaux des banques étaient déterminants dans cette opération de séduction. Grâce à leur base de clients, ils ont fourni un effort considérable dans la mobilisation de ces épargnants peu habitués aux produits boursiers.
La grande question qui reste maintenant concerne l’évolution future de cette physionomie, le jour où les taux commenceront à baisser. Nous retrouverons progressivement la structure de 2010.
Le recul des taux signifie l’orientation des flux financiers vers les actions et le redémarrage de l’investissement.
Les OPCVM auront plus de liquidité pour pouvoir offrir des rendements qui attirent les petites épargnes. Certes, le cycle redémarrera mais quand? Pas avant 2022 à notre avis.