La crise au Liban semble s’installer dans la durée. 17 octobre 2019, début des manifestations. 29 octobre, démission du Premier ministre Saad Hariri et de son gouvernement. Et depuis, ils sont astreints à la gestion des affaires courantes.
Mais au Liban, une dette colossale de 100 milliards de dollars plombe l’économie. Elle est à bout de souffle. Tous les indicateurs sont au rouge. Les troubles persistants et la détermination des manifestants à bloquer la circulation sur les routes aggravent encore les choses.
Pourtant, à leur déclenchement le 17 octobre, les événements du Liban généraient de gros espoirs. Et ce, pour la première fois depuis l’indépendance du pays. Toutes les composantes ethniques étaient unies pour exiger la fin de la « démocratie consensuelle ». C’est-à-dire du partage du pouvoir sur des bases confessionnelles. A savoir: un président chrétien; un premier ministre sunnite; et président du parlement chiite.
Et la foule multiconfessionnelle, mais unie, exigeait aussi le départ du gouvernement. Celui-ci, il faut bien le dire, est loin d’être une structure honnête et transparente de gestion de la chose publique. Si le Liban est dans cet état, c’est parce que le gouvernement a toujours été considéré comme un butin de guerre. Butin que l’élite politique instrumentalise pour régner, dominer et s’enrichir par tous les moyens. Y compris et surtout les moins avouables.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets
Néanmoins, il faut dire que cela n’est pas propre au pays du Cèdre. Les mêmes causes génèrent les troubles qui sévissent dans de nombreux pays du Liban au Chili et de l’Irak à la Bolivie. Tels que la transformation du pouvoir en instrument d’enrichissement d’une infime minorité aux dépens de la grande majorité.
Cependant, six semaines après le déclenchement du mouvement protestataire au Liban, les choses ont pris une tournure gravissime. Avec l’irruption soudaine du spectre de la guerre civile. En effet, dimanche 24 novembre, Beyrouth était le théâtre de manifestations et de contre-manifestations. Des violences ont éclaté sur le pont du Ring entre manifestants et contre-manifestants. Avant que l’armée n’intervienne pour s’interposer. On a frôlé le pire.
Alors qu’en est-il au juste? Des centaines de jeunes appartenant aux deux mouvements chiites libanais « Amal » et « Hezbollah » ont attaqué les manifestants. « Parce qu’ils ont insulté le dirigeant Hassan Nasrallah et parce qu’ils continuent de bloquer les routes. »
La question qui se pose est la suivante: les violences entre manifestants et contre-manifestants chiites sont-elles le prélude à de plus grandes violences inter-communautaires? Ou sont-elles au contraire un incident de parcours sans conséquence sur le mouvement trans-communautaire qui unit les Libanais toutes confessions confondues depuis le 17 octobre? La réponse est attendue avec une grande inquiétude au Liban.
La politique tracée à Washington ou le chaos
Toutefois, le danger au Liban ne vient pas seulement du spectre de la guerre civile qui a déchiré le pays de 1975 à 1990. Il provient aussi des Etats-Unis. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se référer au discours de l’ancien ambassadeur américain à Beyrouth Jeff Feltman. Et ce, le mardi 19 novembre devant la sous-commission parlementaire américaine des Affaires étrangères pour le Moyen-Orient. Feltman laissait entendre que les Libanais se trouvaient devant une alternative dont les deux termes sont : suivre la politique tracée à Washington ou le chaos…
En d’autres termes, l’ancien ambassadeur incite les Libanais à se révolter contre le Hezbollah et ses alliés du Courant Patriotique Libre (CPL) du président Michel Aoun. Pour lui, « ce partenariat a assuré une couverture chrétienne au Hezbollah et l’a aidé à élargir son influence au sein des institutions étatiques. »
Si des officiels à Washington n’hésitent pas à appeler aussi ouvertement à la guerre civile au Liban, que feraient alors les services de renseignements américains secrètement? Comment les Libanais ne se sentent-ils pas inquiets face à de telles ingérences déstabilisatrices dans leurs affaires?
La Russie et la Chine à l’index
Mais Jeff Feltman n’est pas furieux seulement contre « le bras armé de l’Iran » et ses alliés chrétiens. Il s’en est pris avec virulence à « l’expansion du rôle agressif de la Russie » et à « l’infiltration de la Chine » au Liban. Et de se demander: « Que se passera-t-il si la Russie exploite les trois ports libanais et les stocks d’hydrocarbures en mer? Elle gagnera à nos dépens la Méditerranée orientale et méridionale. »
Au final, l’ancien ambassadeur à Beyrouth conclut sa performance oratoire en ces termes: « Le Liban est, en bref, un lieu de concurrence stratégique mondiale. Si nous l’abandonnons, les autres rempliront le vide avec joie. »
Les choses sont on ne peut plus claires. Les Etats-Unis sont en train de perdre progressivement leur influence dans la région au profit de l’Iran, de la Russie et de la Chine.
Et ils font tout pour que le chaos règne là où ils se sentent écartés. Aux Libanais de faire le bon choix et de faire preuve de vigilance face aux complots qui se tissent loin de chez eux.