Incurie d’un jour, incurie pour toujours, et c’est encore une fois notre moral qui en prend un sérieux coup… Voir Amdoun et mourir.
On aura beau s’émouvoir, compatir et crier toute sa colère, quand le manquement vous fait de ces pieds de nez! Sorti de route, le bus pour Aïn Draham n’arrivera pas à destination. Et ce sont vingt-neuf jeunes qui ne verront plus les neiges du Mont Kroumirie.
Qu’un Moncef Marzouki renonce à la politique ou tel autre. Que la droite s’enlise en perdant le nord. Que la gauche se fasse toute petite, ou que l’on prédise l’implosion prochaine d’Ennahdha. Quelle importance, quand vous avez un ravin et un oued pour point de chute?
Un ravin, un oued pour nous ramener à l’insupportable, l’amer et le déshonorant… Tant qu’il y aura encore des voleurs, des blanchisseurs d’argent, des mafieux; tant qu’il y aura encore des taudis et tout ce qui fait aujourd’hui cette Tunisie des délaissés où l’on tente de survivre sans penser au lendemain… Born to be alive. Né pour être vivant. Né pour être délinquant, harrag, ou pour réussir, chose rare, même si rien n’est impossible, et que du bas d’en bas, on peut sortir. Born by a river. Né au bord d’une rivière. Un air très soul venant du coeur de ce Sud de l’Amérique qui a tant donné à la musique…
Les intempéries ont eu ce mérite de nous ouvrir encore une fois les yeux sur le navrant qu’on voudrait tant ne pas voir. Et qui à chaque grondement du ciel, s’impose à nous dans son affreuse nudité pour nous interpeller, nous fouetter, nous secouer, et nous rappeler l’essentiel.
Né au mauvais endroit, au mauvais moment…
Et l’essentiel, c’est la détresse de l’isolement et de l’oubli. Né au bord d’un oued qui à chaque instant, à n’importe quel moment peut vous happer et vous emporter.
Né au mauvais endroit, au mauvais moment… Il suffit de demander à tous ces malheureux dont le nombre ne cesse de grimper depuis qu’on leur a dit que leur vie allait changer.
Indignez-vous, leur a-t-on dit, vous êtes libres! Qu’ont-ils reçu en retour? Rien.
Né au bord d’un oued, et pas une once d’espoir pour sortir du piège d’une misérable vie. Cela dure depuis tellement longtemps!
Né au bord d’un oued, pour y vivre, y grandir, et peut-être y mourir sans avoir rien vu, mais tout connu des privations, du besoin et de la nécessité.
Cela pourrait même ressembler à Calcutta, cette immense mégalopole indienne où dit-on les gens naissent, vivent et meurent dans la rue. Seule la nature a remplacé la suffocation et la folie des grands centres urbains où les frustrations et le désespoir qui va avec, sont décuplés.
Avez-vous vu un seul homme politique ne pas dire que la pauvreté était l’ennemi public numéro un dans le pays? Avez-vous constaté que quelque chose a bougé?
Les Tunisiens voient bien que l’on se moque d’eux. Maslaht al bled, que n’a-ton pas justifié en ton nom. L’intérêt du pays avant tout, cette tirade usée jusqu’à la corde, ils ne la connaissent que trop bien.
Et puis, ils ne peuvent pas dire qu’on leur fait avaler des couleuvres, puisque c’est tout de même leur choix! Mon Dieu, quel cinéma! Faut-il se résoudre à dire qu’il est tard, même si, il n’est jamais trop tard?
« Kbal ma ifout el fout » (Avant qu’il ne soit trop tard) ou l’histoire d’une famille ordinaire tunisienne en butte aux difficultés de la vie, qui lutte pour rester debout et qui malgré les vicissitudes, reste soudée.
Une histoire qui pourrait être celle de chacun d’entre-nous; une histoire symptomatique de ce mal-être et de ce mal-vivre qui se sont emparés de la société tunisienne, et qui ne datent pas d’aujourd’hui. Allez voir le film de Majdi Lakhdhar, il vient de sortir en salle.