« Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance. Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion » !
Voltaire – Candide ou l’Optimisme
Comment obtenir des citoyens tunisiens qu’ils fassent preuve d’optimisme et de contentement devant un spectacle quotidien désespérant, un tableau social accablant et ce délabrement économique? « Tout va très bien, Madame la Marquise! » diraient-ils. Cette expression ironique tient son origine d’une célèbre chanson interprétée par Ray Ventura et ses Collégiens. Elle signifie que, quels que soient les problèmes, il faut rester optimiste. Que, si « le sort » s’acharne contre nous, on doit l’accepter, résigné.
Pour certaines personnes, adeptes de la satisfaction permanente, tout doit sembler aller très bien tout le temps. C’est le signe d’une attitude défensive adoptée inconsciemment, par ceux qui sont présumés de bonne foi, pour son effet psychologique protecteur. Lacan les aurait appelés les délirants du tout-va-bien, pour qui tout est déjà parfait, ou qui renoncent à vouloir faire mieux, ce qui revient au même. Les délirants du tout-va-mal sont tout aussi imprudents, pour qui rien ne va jamais.
De nombreux Tunisiens, loin de partager cet optimisme béat ou ce pessimisme grincheux, en appellent à une prise de conscience responsable et salvatrice. Car il existe une autre voie et voix à porter. On préfère plutôt cette démarche que voulait Voltaire, à savoir le réalisme. Une ouverture à la capacité d’agir, relatée dans son conte philosophique, Candide ou l’Optimisme.
Multiples alertes
Toutefois, dans son livre « L’économie tunisienne à l’épreuve de la transition », Taoufik Baccar décrit « l’état de délabrement dans lequel se trouve la Tunisie aujourd’hui à cause d’une incompétence généralisée ».
Il convient de souligner les multiples alertes et mises en garde faites par nombre d’économistes et observateurs tout au long de ces années et qui sont restées sans suite.
Aux faiblesses structurelles, qui se sont accentuées ces dernières années, sont venus s’ajouter les effets d’une gestion affligeante. Le pouvoir d’achat réel des Tunisiens a terriblement diminué. Une paupérisation généralisée s’amplifie et s’accroît. Le salaire ne permet plus de subvenir aux besoins élémentaires tels que la nourriture, le logement, l’habillement, les soins et de l’éducation des enfants. Et cela même pour les catégories sociales dites moyennes. La dette est à un niveau insoutenable. Plusieurs conséquences socio-économiques se sont traduites sur le plan de l’emploi. Et ce, par l’augmentation du chômage, la diminution du taux d’emploi dans le secteur formel… Tout cela, sur fond de luttes politiques dérisoires, de manœuvres, de calculs et petits arrangements.
On est tenté de qualifier ces gouvernants d’incultes, une inculture économique crasse. Sans qu’ils ne se rendent compte que leur inertie, leur inaction, leur léthargie et leur désinvolture ont des répercussions immédiates et dramatiques sur la vie des gens. La criminalité dans nos rues ne peut pas être dissociée de la désintégration morale dans les rangs de la classe politique. Une culture de l’égoïsme et de la cupidité n’a cessé de grandir.
Ce bilan plus que négatif met directement en cause les comportements des dirigeants politiques. Ces politiciens, de véritables moulins à paroles lorsqu’il faut tout justifier, même l’injustifiable, ont démontré qu’ils étaient prêts à ignorer le moindre sens moral.
Entre-temps, le délabrement du tissu économique s’accélère. C’est un pays tout entier, sa population, sa société, qui sont en train de payer au prix fort cet aveuglement. Les arrivistes qui se croient « arrivés » bardés de leurs accoutrements distinctifs, prêts à toutes les médiocrités comportementales pour avoir la faveur de leurs protecteurs du moment. Afin d’en être les sous-hommes créés au point de devenir à leur tour créateurs de sous-hommes dans la hiérarchie. Ils évoluent dans leur bulle. Ils se révèlent peu aptes à comprendre le foisonnement de la société et son ras-le-bol.
Interférences
D’où l’apparition de nouveaux venus -parvenus-, une échappée délétère à travers le déchaînement des pulsions de quelques monstres rejetés des tripes et boyaux d’une société déstructurée, désorientée.
Il est évident qu’une société aussi défigurée, au vide tératogène, ne peut que produire cette espèce de monstre de la vacuité de toute substance immanente ou transcendante. Surtout que les canaux institutionnels de régulation ne fonctionnent plus correctement depuis « la meilleure Constitution du monde »!
Avant même de former un gouvernement-serpent de mer, la personnalité chargée officiellement s’est faite prématurément ébrécher la crédibilité, à cause des interférences d’Ennahdha et ses consultations parallèles, la torpillant dans la perception de l’opinion publique et des partis politiques sollicités, lui coupant l’herbe sous le pied en quelque sorte, la privant d’un avantage qu’il aurait pu avoir si on ne l’avait pas effrontément saboté.
Ce qu’il faut noter aussi, c’est que le délabrement économique à charrié un impressionnant délabrement du lien social dans notre pays. La distance sociale s’est largement accrue.
Aujourd’hui, la situation est d’autant plus grave que dans ces conditions il n’est pas surprenant que le climat social continue à se dégrader profondément pour un probable embrasement général, si rien de probant ne vient redonner de l’espoir. Est-ce que pour se faire entendre, les voies utilisées ne peuvent être que celles du soulèvement ?
Les difficultés actuelles sont inquiétantes pour l’avenir. Au vu de ce qui se passe aujourd’hui, on est fondé à s’interroger sur ce qui arrivera, si par bonheur on aborderait un de ces jours les questions qui fâchent pour décider des solutions appropriées. Néanmoins, il convient d’ajouter: en concédant encore à l’État un rôle dans l’élaboration d’une vision stratégique, l’aiguillage et la régulation dans une économie telle que la nôtre.
Rôle de l’Etat
Depuis Adam Smith, en passant par David Ricardo et Robert Malthus jusqu’aux contemporains Milton Friedman, Gary Becker et Robert Lucas, une lignée d’économistes orthodoxes s’évertue à montrer avec quelle perfection fonctionnerait l’économie si l’État l’abandonnait à elle-même sans la déranger en cherchant à la réguler.
Keynes démontrait, dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, que l’économie libérale, laissée à elle-même, tend à tomber en panne et à stagner sans disposer de mécanisme auto-correcteur. Il recommandait alors une régulation par l’État du niveau général de l’activité économique au moyen de ce qu’il appelle la « socialisation de l’investissement ».
L’État doit être présent pour coordonner les relations entre l’investissement public et privé, pour amortir les tendances à l’instabilité de l’investissement privé.
Le « budget d’investissement » gouvernemental devrait être administré de manière à réduire les incertitudes. Celles-ci contaminent l’investissement privé. Ce budget intégrerait l’existence d’un environnement caractérisé par une incertitude radicale dans laquelle les mécanismes psychologiques sont essentiels. Un entrepreneur qui décide d’un nouvel investissement en capital: construire une nouvelle usine, se heurte à l’incertitude. Dans ce cas, l’Etat, par son action, doit atténuer cette incertitude. Cela lui ouvre un horizon plus sûr. La socialisation de l’investissement est le meilleur remède, puisque l’État est l’instrument de convergence des attentes, ce qui maintient notamment la stabilité économique.
Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de la part de l’État tunisien d’évaluation des risques visant à déterminer comment les différentes mesures budgétaires envisagées influeraient sur la croissance du PIB, sur les exportations et sur le chômage. Il est plus qu’urgent d’établir une feuille de route stratégique pour les cinq prochaines années. Et ce, avec un véritable plan de sauvetage, afin de stimuler les moteurs potentiels de la croissance et stopper net le délabrement généralisé.