L’enseignant-chercheur en droit public et en sciences politiques Khaled Dabbabi décortique pour les lecteurs de leconomistemaghrebin.com, la désignation d’Elyes Fakhfakh comme chef de gouvernement. Il soutient que les critères du choix de cette personnalité sont ambigus.
Que pensez-vous de la désignation d’Elyes Fakhfakh?
C’est une désignation ambiguë. Nous ne connaissons pas les critères décisifs et déterminants sur lesquels s’est basé le Chef de l’Etat pour écarter les deux autres noms et choisir Elyes Fakhfakh. Dans la réception des propositions faites par les partis, Kaïs Saïed a exigé un argumentaire et des justifications. Alors qu’il na donné aucun fondement objectif à son choix final.
L’ambiguïté persiste au niveau des critères du choix. Nous ne pouvons pas affirmer si le critère porte sur la nature du programme proposé par M. Fakhfakh. A savoir si son programme était plus convaincant par rapport aux autres candidats. Ou s’il s’agit simplement d’un autre critère! A savoir le profil de Fakhfakh qui s’inscrit dans la « ligne révolutionnaire » comme avancent certains. De même, ce ministre était à la tête de deux ministères à l’époque de la Troïka. Son bilan est loin d’être idéal. Ainsi, la communication de la présidence de la République semble lacunaire, floue et faible.
Elyes Fakhfakh, ne bénéficie pas d’une légitimité électorale. Cependant, il a été désigné chef de gouvernement. La situation ne semble-t-il pas paradoxale?
La Constitution n’a pas posé de conditions relatives à la légitimité ou à la représentativité au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Ces deux critères figuraient dans le premier scénario qui donne au parti ou à la coalition qui a obtenu plus grand nombre de sièges au sein de l’ARP de charger un candidat de former un gouvernement. Après l’échec de ce scénario et la non-obtention de la confiance parlementaire par le gouvernement Jemli, on est passé à une autre logique et à une autre philosophie.
Toutefois, politiquement, cela est à mon sens inadmissible. M. Fakhfakh s’est présenté aux élections présidentielles et n’a obtenu que 0,34% des voix. Son parti Ettakatol n’a obtenu aucun siège au sein de l’ARP. Il est dans une mort clinique politique depuis la fin du gouvernement de la Troïka.
Ce décalage flagrant entre les résultats des élections et les scénarios politiques post-élections remet en question tout le processus électoral. Pourquoi faire tout cet effort financier, logistique et institutionnel pour organiser des élections. Alors qu’on va évincer leurs résultats par la suite. Et choisir des personnalités politiques qui ont échoué d’une manière cuisante.
Ce décalage est dû essentiellement au mode de scrutin à la proportionnelle. Ce mode falsifie à chaque fois les résultats des élections et rend le paysage politique et parlementaire confus.
Dans les démocraties stables, le parti qui a gagné les élections doit pouvoir gouverner et appliquer son programme. Et en assumer la responsabilité par la suite. En Tunisie, il n’est pas possible d’identifier celui qui gouverne réellement et qui est le responsable de l’échec ou la réussite. Tous les critères sont bafoués. De ce fait, la parti-tocratie l’emporte à chaque fois.
Il est temps de simplifier et de clarifier les règles du jeu politique et électoral. L’abandon de ce mode de scrutin est plus qu’urgent et nécessaire.
D’un point de vue constitutionnel, comment évaluez-vous cette désignation?
Cette désignation rime parfaitement avec le texte de la Constitution tunisienne. Toutes les dispositions du paragraphe 3 de l’article 89 ont été bel et bien respectées. Le Chef de l’Etat a engagé les consultations avec les partis, les blocs et les coalitions parlementaires.
Cette consultation a été faite par écrit. La Constitution n’a pas exigé une forme ou une procédure bien particulière pour engager les dites consultations. Le choix de la procédure des consultations écrites est conforme donc avec la Constitution. Mieux encore, il a permis de gagner du temps et d’assurer une efficacité du processus. Surtout après les tractations et la lenteur qu’on a vécues avec Habib Jemli.
Autre chose, quand l’article 89 s’adresse aux partis, il ne s’agit pas de tous les partis légalement constitués mais uniquement les partis qui sont représentées au sein de l’ARP.
Certes, le terme « partis » a été rédigé d’une manière absolue. Toutefois, l’article 89 s’inscrit dans le cadre du processus de formation du gouvernement après les résultats définitifs des élections législatives. Et ne peut donc viser que les partis qui ont obtenu des sièges au sein de l’ARP. En fait, l’article 89 mentionne les partis en les distinguant au sein de l’ARP, des blocs et des coalitions. Car un bloc ou une coalition peut être distinguée de plus d’un seul parti.
Comme je l’ai dit auparavant, le chef de l’Etat a, dans ce cas de figure, un pouvoir discrétionnaire. Et ce, dans la mesure où les noms proposés par les partis ne lient par le président de la République. Il peut choisir parmi eux comme il peut choisir en dehors d’eux.