Que faut-il penser des articles 89 et 97 de la Constitution? Le Parlement a-t-il la possibilité d’exercer une motion de censure contre le gouvernement actuel? Ou encore, le président de la République peut-il dissoudre le Parlement actuel en cas d’échec? Autant de questions auxquelles Salsabil Klibi, professeur de droit constitutionnel, répond. Et ce, dans une déclaration exclusive accordée à leconomistemaghrebin.com
Tout d’abord, Salsabil Klibi précise que l’article 89 de la Constitution comporte trois hypothèses. Car, « nous sommes toujours dans le cadre de l’article 89 de la Constitution qui n’a pas épuisé toutes les hypothèses qu’il comporte. A savoir, les trois hypothèses. »
Ainsi, dans la première hypothèse, le candidat au poste du chef du gouvernement est proposé par le parti de la Coalition ayant le plus grand nombre de sièges. Mais, en cas d’échec de ce candidat, on passe à la deuxième hypothèse. Celle où c’est le président de la République, qui après des tractations avec les différentes forces politiques représentées au Parlement, choisit un candidat susceptible de former un gouvernement. Lequel devra, à son tour, obtenir la confiance du Parlement.
Puis, elle ajoute dans ce contexte: « Mais en cas d’échec de ce dernier, on passe à la troisième hypothèse. Elle débute quatre mois à partir de la date de la première démarche. De ce fait, le texte de l’article 89, le président de la République a le droit de dissoudre le Parlement et d’organiser des élections anticipées ».
Alors, est-ce une obligation de dissoudre le Parlement? Salsabil Klibi répond que justement le texte de la Constitution ne parle pas d’obligation.
La dissolution de l’ARP est une faculté
En effet, elle précise dans ce contexte: « La dissolution est une faculté offerte au président de la République. Sauf que s’il ne procédait pas à la dissolution du Parlement, on se retrouverait dans une situation qui n’est pas tout à fait conforme à la Constitution. Pourquoi? Parce que la Constitution dit qu’après chaque élection législative, la majorité parlementaire choisit son gouvernement. Or nous allons nous retrouver devant un Parlement qui a été élu bien sûr. Mais qui a échoué à deux reprises à former un gouvernement et à accorder sa confiance à une équipe gouvernementale. »
Et de poursuivre: « Ce qui a pour conséquence le maintien du gouvernement en place qui lui aussi n’est pas issu des élections. Ce qui enlève toute sa signification aux élections. » Il faut rappeler selon elle, que lors des élections 2019, le peuple a changé d’avis avec un autre poids au Parlement. Autrement dit, il a donné sa confiance à d’autres formations politiques, représentant un autre poids dans le Parlement. Cependant, ce dernier ne retrouve pas son choix dans l’exécutif. En d’autres termes, il ne retrouve pas non plus le résultat de son vote dans l’exécutif.
Par ailleurs, si on ne procède pas à la dissolution, que va-t-il se passer? Salsabil Klibi souligne que la dissolution est une faculté. Mais, on se retrouvera face à un problème. Avec un gouvernement qui est en place, alors qu’il n’exprime pas le choix des électeurs.
Car, précise-t-elle: « Nous allons avoir un gouvernent en place puisqu’il n’y a pas de dissolution. Car, je suppose que le président de la République n’utilisera pas cette faculté qui lui est offerte. Et même si cela reste toujours des hypothèses; le problème juridiquement du moins, reste posé. »
L’article 89 a un double rôle
Or, il faut rappeler que le droit de dissolution qui est prévu par l’article 89, a un double rôle.
En effet, Mme Klibi rappelle que: « Le premier rôle est dissuasif. Lorsqu’il prévoit qu’au bout de deux essais et si le Parlement échoue, il peut être dissout. C’est une manière d’exhorter les parlementaires, les députés ainsi que les forces politiques représentées, à s’entendre. D’ailleurs, pour les députés, la dissolution est une menace directe. D’abord, ils vont perdre leur siège. Et ensuite, les partis vont se retrouver devant les électeurs. Et personne n’est sûre, ni de retrouver son siège, ni le poids obtenu aux élections précédentes ».
Cela dit, la dissolution est un outil de dissuasion; mais aussi un outil de sortie de crise.
Elle précise: « C’est à dire que s’il y a un blocage face à un Parlement très fragmenté; tout le monde le sait, il est difficile de trouver un accord sur un gouvernement. Donc il faut bien trouver une sortie de crise. »
Et la sortie de crise, c’est la dissolution qui le permet. Maintenant, rappelons qu’il ne s’agir que d’une simple faculté et non une obligation. « Pourtant, on continue à prendre le texte au pied de la lettre. Ce qui pose un problème », poursuit la constitutionnaliste.
Quant à l’autre difficulté, la motion de censure, elle apporte des précisions. « Il y a d’autres personnes qui disent qu’on peut toujours imaginer que l’actuel parlement présente une motion de censure contre l’actuel gouvernement, qui est un gouvernement sortant ».
Gouvernement sortant ou de gestion des affaires courantes?
De ce fait, il faut définir les termes pour commencer. S’agit-il d’un gouvernement sortant ou d’un gouvernement de gestion des affaires courantes?
Ce qui veut dire, selon Mme Klibi, qu’on ne peut pas parler d’un gouvernement de gestion des affaires courantes. Car ce cas de figure n’est prévu que lorsque le chef du gouvernement a présenté sa démission. Ce n’est donc que lorsqu’il présente sa démission, qu’il se transforme en gouvernement de gestion des affaires courantes. Jusqu’à ce que le nouveau gouvernement prenne place. Or ce devrait être une question de quelques jours et non de mois.
Et d’ajouter: « M. Chahed n’a pas présenté sa démission. Et il est toujours le chef du gouvernement en exercice. Tout comme il est vrai que c’est un gouvernement sortant, parce qu’il est issu d’un Parlement qui a quitté la place politique. Et c’est un gouvernement qui assure la continuité de l’Etat. Mais ce n’est en aucun cas un gouvernement de gestion des affaires courantes ».
L’article 97 et la motion de censure s’appliquent après le vote de confiance
Sauf que présenter une motion de censure contre un gouvernement sortant, il est vrai que rien n’empêche cela. Mais comme on a expliqué le rôle de la dissolution selon l’article 89; l’article 97 celui de la motion de censure, est avant tout un outil entre les mains du Parlement sur le gouvernement auquel il a accordé sa confiance. Or ce gouvernement sortant n’est pas le sien.
Elle conclut: « Evoquer l’article 97 me paraît déplacé. Parce que d’abord c’est un gouvernement sortant. Ensuite, parce que le Parlement n’a pas accordé sa confiance. Tout comme cela me parait un peu abusif de sortir du cadre de l’article 89. Alors qu’il n’a pas encore épuisé toute ses possibilités; pour passer directement à un autre cadre. »
Au final, « tout le monde cherche à sortir de la crise. Alors, le plus simple c’est d’accorder la confiance au gouvernement Fakhfakh. Après, si ce gouvernement échoue, il est toujours possible de déposer une motion de censure contre lui. Qu’à cela ne tienne, c’est le droit de l’ARP. Et on sera là dans le strict respect de la Constitution ».