L’Université SÉSAME a organisé en partenariat avec la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Mahdia, le laboratoire LIGUE, l’Organisation Internationale du Travail, le Conseil National de la Statistique et l’incubateur Lab’ess le colloque « Economie sociale et solidaire : réalités et enjeux ». Tous les intervenants ont été unanimes quant à la nécessité d’un meilleur positionnement de l’ESS en Tunisie.
En effet, l’économie sociale et solidaire (ESS) prend de l’ampleur dans plusieurs pays comme en témoigne sa participation à la création d’emplois et au PIB. La Tunisie s’est inscrite dans cette tendance. En effet, l’ESS fait partie du plan de développement quinquennal (2016-2020).
L’université doit promouvoir l’ESS
Pour le président de l’Université privée Sésame, Farouk Kamoun, le monde est en pleine évolution et les technologies s’accélèrent à un rythme effréné. Et ce dans une tendance de globalisation. Et dans un contexte où certains modèles de développement ont été essoufflés ou présentent quelques défaillances. Dans le même sillage, la société tunisienne est à la recherche de nouveaux modèles de développement. Ainsi qu’à de nouvelles approches pour pallier à certaines insuffisances.
Par ailleurs, il existe un regain d’intérêt à l’économie sociale et solidaire comme étant une approche pour un développement plus solidaire et qui soit plus orienté vers la société. Pour lui, il faut promouvoir et impliquer cet aspect à travers le monde universitaire. D’ailleurs, les jeunes sont à la recherche de nouvelles approches. Et c’est pour cette raison qu’il vaut mieux faire connaître ces aspects aux jeunes.
L’intervenant affirme, également, que l’économie sociale et solidaire ne date pas d’hier. Elle date même bien avant l’époque des coopératives. Il précise que l’économie sociale et solidaire est une réponse à quelques manquements et non pas une réponse au système économique dans toute sa globalité. « Car malgré des défauts, il a permis de réaliser un certain nombre d’acquis », fait-il remarquer.
Pour un meilleur positionnement de l’ESS en Tunisie
De son côté, le Professeur honoraire de l’université Sésame, Jamil Chaabouni, a indiqué, lors de son exposé, que plusieurs études menées à l’échelle internationale montrent bel et bien trois résultats principaux. D’abord, la contribution significative de l’ESS à la création d’emplois et aux PIB dans les pays étudiés, mais à des degrés différents. Ensuite, il s’est avéré que le secteur ESS est un secteur résilient au moment des crises. Enfin, il s’avère que la croissance du secteur de l’ESS est plus importante que celle du PIB sur une assez longue période.
Pour illustrer ses idées, il cite un certain nombre de chiffres qui portent sur l’ESS dans l’Union Européenne. En effet, selon European Economic and Social Committee, durant la période (2014-2015), l’ESS a fourni plus de :
– 13,6 millions d’emplois rémunérés, l’équivalent d’environ 6,3% de la population active de l’UE des 28;
– 82,8 millions de bénévoles, soit 5,5 millions de travailleurs à temps plein;
– 232 millions de membres de coopératives, mutuelles et organisations similaires;
– 2,8 millions d’entités et d’entreprises.
Par ailleurs, selon Lester M. Salamon & Al, l’ESS fournit 7,4% en moyenne d’emploi dans 13 pays du monde. Les trois premiers sont : Israël (12,7%), Australie (11,5%) et Belgique (11,5%).
La même source affirme que l’ESS participe en moyenne à 4,5% du PIB de 13 pays : Canada (8,1%,), Israël (7,1%) et Mozambique (6,7%).
En Tunisie, le phénomène économique ne date pas d’hier
L’intervenant définit l’ESS comme étant un phénomène ancien. Il s’agit d’une initiative répondant à des besoins sociaux dans une économie de subsistance. En effet, l’intervenant passe en revue trois principales formes d’organisation :
1 / Maâouna : travail collectif des parcelles privées (semence, récolte etc.) (forme pré-coopérative);
2 / Touiza (Twiza): association pour effectuer un travail d’intérêt collectif (maintenance de canaux d’irrigation) ou individuel sans rémunération (p.ex. construction d’habitat individuel) principe de volontariat et de réciprocité;
3/ L’Ouiza : association pour faire des achats collectifs de produits ou de services (denrées alimentaires, élevage de bétail…).
Cependant, il affirme que ces formes n’ont pas pu faire des changements cruciaux dans la société tunisienne.
En Tunisie, l’ESS est dopée par une dynamique institutionnelle
Ainsi, depuis 2011, l’ESS est devenue récurrente dans les politiques publiques de la Tunisie. L’intervenant a cité, entre autres, l’élaboration d’un projet de loi sur l’ESS. En effet, l’ESS est présente dans six stratégies sectorielles. Il s’agit de : la Stratégie de promotion de l’ESS dans le secteur agricole 2018-2021, le Plan National de Développement de l’Artisanat 2017-2020, la Stratégie Nationale de l’Inclusion Financière 2018-2022, la Stratégie Nationale pour l’Autonomisation des Femmes et des Filles en milieu rural 2017-2020, la Stratégie Nationale de l’Inclusion Sociale et de Lutte contre la Pauvreté et les Politiques de l’Emploi.
En se basant sur des chiffres officiels, l’intervenant affirme qu’il existe 1558 organisations d’ESS qui emploient 11711 personnes. Ainsi, 0,8% de l’ensemble des salariés couverts par la CNSS travaillent dans des organisations ESS. Par ailleurs, il affirme que tous les chiffres sont éparpillés.
Mais que faire pour un meilleur positionnement de la Tunisie en secteur de l’ESS ?
Le Professeur recommande une démarche sur trois volets pour un meilleur positionnement de la Tunisie au niveau de l’économie sociale et solidaire. Au niveau institutionnel, l’intervenant recommande la prise en considération de l’ESS dans les prochaines lois de finances. Et achever la structuration du champ (loi, structures de coordination et de suivi, mécanismes de financement, système d’information, etc.).
Au niveau pratique, l’intervenant plaide pour la mobilisation des ressources locales en compétences. Et ce à travers les Systèmes d’Echanges Locaux (SEL), la création de banques de temps et le réseautage des organisations ESS.
Le troisième niveau porte, quant à lui, sur la formation et la recherche scientifique. Dans le même sillage, l’intervenant recommande la mise en place d’un cycle de formation ESS à tous les niveaux de l’enseignement fondés aussi sur l’expérimentation (coopératives des élèves). Et de développer des projets de recherche pluridisciplinaire autour des ESS. Il s’agit, ainsi, de faire des recherches sur leur business plan et leur valeur ajoutée.
Un cadre juridique qui attend l’examen au sein de l’ARP
Anissa Ayari, chargée du dossier de l’ESS au sein du ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi, est revenue dans son intervention sur les spécificités du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire. Elle affirme que le projet de loi est le résultat d’un travail collectif et consensuel. D’ailleurs, le projet de loi a été mis à la consultation publique le 8 mars 2017.
En janvier 2019, le ministère a transféré le projet au Conseil des ministres. Le 11 décembre 2019, le Conseil ministériel adopte le projet de loi et l’a transféré à l’ARP. L’objectif de la loi est de reconnaître officiellement l’ESS comme un secteur tiers. Cette loi a comme objectif d’unifier les définitions de l’ESS. D’ailleurs, le projet prévoit la définition des spécificités du projet de loi. Enfin, le projet ambitionne à respecter l’esprit de l’ESS ainsi que de créer les organismes nécessaires.