Le PDG de CAP Bank et le vice-président du Club des dirigeants des banques africaines, Habib Karaouli, défend l’idée du rééchelonnement du remboursement de la dette.
Lors de son intervention sur les ondes radiophoniques d’Express fm, Habib Karaouli a tenu à préciser que l’annulation de la dette n’est pas la solution idéale. Pour lui, il ne faut recourir à cette démarche qu’en cas de force majeure.
L’intervenant rappelle, également, que la proposition du Président français Emmanuel Macron de supprimer la grande partie de la dette africaine n’est pas la première du genre. Car en 1996, le programme Pays pauvres très endettés et le programme L’initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM) du FMI ont vu le jour. L’IADM a permis d’annuler toute la dette du Congo, Tchad, Zambie, Gambie et d’autres pays africains en 2009.
Cependant, des années plus tard le taux d’endettement du Congo a atteint 120% du PIB. Et ce, malgré la suppression de la dette en 2009. « La meilleure solution est de compter sur soi et concevoir un modèle de développement fort », recommande-t-il.
Pourquoi un allègement ou une suppression de la dette des pays africains?
Revenant sur la proposition du Président français, il affirme qu’il n’existe pas d’amitié entre les pays. Mais que les intérêts régissent les relations entre les pays.
Pour Habib Karaouli, la France et tous les créanciers ont compris que la suppression et/ou allègement de la dette des pays africains sert leurs propres intérêts. D’ailleurs, les créanciers se rendent compte de la gravité la situation dans les 76 pays qui ont été choisis par le G20.
De ce fait, la situation nécessite une intervention rapide. Car, les créanciers craignent également une grande vague de migration des jeunes de ces pays vers le nord. Puisqu’un pays criblé de dettes ne représente pas un avenir florissant pour sa jeunesse. Pour toutes ces raisons, les pays du G20 décident d’intervenir.
Le PDG de CAP BANK affirme que l’endettement du continent africain a atteint 350 milliards de dollars en 2018, soit 60% du PIB. Le taux d’endettement par habitant en Afrique est aux alentours de 1060 dollars. Alors qu’il est en Tunisie aux alentours de 2600 dollars. « Pour la Tunisie ce taux est au-dessus de la moyenne », dit-il.
Revenant sur l’intervention de la Chine en Afrique, il affirme que cette puissance a affirmé sa présence en Afrique depuis plus de dix ans. « Les dettes de l’Afrique à l’égard de la Chine représentent 40% de l’endettement total de l’Afrique (145 milliards de dollars) », a-t-il précisé.
Il estime que la Chine a un rôle principal pour toutes les propositions concernant l’Afrique. L’intervenant rappelle que d’après les déclarations de quelques responsables chinois, la Chine est prête à l’acceptation de la procédure de l’annulation partielle ou totale de la dette africaine. Cependant, « la révision et l’annulation de la dette est une mesure contre-productive », estime-t-il. En effet, elle déresponsabilise les états endettés.
Tous les pays africains sont-ils logés à la même enseigne?
L’intervenant affirme, également, qu’il n’est pas légitime de ne pas engager des réformes nécessaires et de recourir à l’endettement. Dans le même sillage, il recommande la prise en charge des catégories précaires et la mise en place des réformes.
Cependant, il soutient que la situation en Afrique nécessite une intervention exceptionnelle. Bien avant la France, le FMI a proposé une liste de 25 pays dont 19 pays africains qui vont bénéficier d’un don. Et ce, pour rembourser le service de la dette et les impayés dans les prochains six mois. Cette procédure pourrait être renouvelée selon le PDG de Cap Bank. D’ailleurs, dans cette liste figurent des pays comme le Rwanda. Pourtant ce pays est connu pour la solidité de ses finances publiques.
Ce pays est, également, le premier en Afrique à avoir amélioré son climat d’affaires. Et ce, selon le rapport de Doing business. Il est bien placé en matière de lutte contre la corruption. Le Togo figure sur la même liste. Et pourtant il est le seul parmi les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui remplisse toutes les conditions pour adopter la nouvelle monnaie ECO. La liste des 19ème pays comprend des pays dont le revenu par habitant est faible. La Tunisie est classée dans la catégorie (revenu intermédiaire) et pour cette raison elle n’y figure pas. « Cela ne veut pas dire que le FMI fermera la porte à la Tunisie et à tous les pays qui veulent bénéficier de ce mécanisme », lance-t-il.
Qu’en est-t-il de la Tunisie?
Habib Karaouli s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles le gouvernement tunisien n’a pas présenté des demandes pour l’allègement ou la suppression de ses dettes. « Surtout que la situation du pays est particulière », lance-t-il. Il s’agit d’un contexte exceptionnel qui nécessite des mesures exceptionnelles. Ainsi, s’il est contre la suppression pure et simple de la dette du pays, il n’en demeure pas moins pour un allègement de cette dette, accompagné de réformes du système.
« Je peux comprendre que la partie officielle tunisienne considère cette demande comme un constitutif d’un défaut de paiement; mais ce n’est pas le cas », poursuit-il.
De l’autre côté, l’intervenant affirme que les organisations multilatérales ne vont pas considérer cette demande comme un défaut de paiement. Cependant, un défaut de paiement pourrait être un facteur qui impacterait les sorties sur les marchés internationaux. Et ce, à la faveur d’une levée de fonds. Dans le même sillage, il affirme qu’entre 46 et 50% de la dette tunisienne proviennent des organisations multilatérales. Ces organisations acceptent le principe de la révision de la dette.
De ce fait, le gouvernement n’a pas plusieurs choix. Soit s’endetter, et ce malgré l’insoutenabilité de la dette tunisienne; soit réviser à la hausse la pression fiscale. Mais force est de constater que la pression fiscale atteint déjà 23%. C’est l’un des taux les plus élevés en Afrique.
Pour Habib Karaouli, la seule solution qui reste est la création d’un espace budgétaire. Mais, « la création d’un espace budgétaire ne peut se faire que par le report des échéances des prêts pour 2020 et 2021 », propose-t-il.
Cette procédure permettra de mobiliser les ressources nécessaires. Et ce, pour financer le plan du sauvetage de l’économie tunisienne. D’ailleurs, le gouvernement a annoncé le plan. « Le gouvernement prévoit deux milliards de dinars pour le financement du plan, mais c’est insuffisant », estime-t-il. D’ailleurs, plusieurs spécialistes considèrent qu’il faut dédier 10% du PIB au financement du plan. Pour conclure, M. Karaouli affirme que même des pays plus développés que la Tunisie ont demandé le reprofilage de leurs dettes.