Tout en faisant face aux nouvelles urgences dictées par la crise sanitaire, il est important de se préparer à l’après pandémie du Covid-19, en exploitant rapidement les enseignements, qui en ressortent, pour retrouver une dynamique sur les plans social et économique à la hauteur des attentes et des aspirations.
C’est précisément à cet essai que s’est livré le Forum Ibn Khaldoun au cours de la vidéo- conférence organisée début avril 2020, à laquelle a été convié pour l’introduire et l’animer Dr Rabie Razgallah fondateur d’une entreprise Tuniso-canadienne. Il a développé une expertise internationale en matière de gestion de la crise des épidémies.
Parmi les axes de ce débat, le conférencier a présenté les opportunités de ressortir pour la Tunisie de cette crise sanitaire. L’économie tunisienne, ressent d’ores et déjà les effets de la crise sanitaire. Financièrement, la crise a un coût très élevé sur le Budget de l’Etat dont l’équilibre en 2020 suppose, outre une augmentation, aujourd’hui incertaine, de la pression fiscale, la mobilisation de plus de 11 milliards de dinars d’emprunts intérieurs et extérieurs.
Economiquement, elle se traduit par une forte baisse de la production et des implications négatives sur le cash-flow des entreprises et sur le revenu des ménages.
Socialement, le confinement est une dure épreuve très difficile à assumer par une population dont le quart environ vit dans des logements de 1 à 2 pièces dans le milieu urbain, où plus du tiers s’adonne à des petits métiers dans le commerce, la réparation, l’artisanat, les transports relevant du secteur informel et ne dispose pas d’épargne suffisante pour amortir les chocs et soutenir un confinement prolongé.
Comment minimiser le coût de la pandémie sur l’économie tunisienne et pour exploiter les nouvelles opportunités qui s’en dégagent sur le plan économique ? Comment permettre à l’économie tunisienne de trouver rapidement la parade pour rebondir sur des bases plus fortes ?
Tourisme et investissement
Parmi les secteurs les plus sinistrés, on note le secteur du tourisme. L’étude présentée dans le cadre de ce débat recommande la nécessité d’une profonde réflexion sur les stratégies qui s’imposent et sur les restructurations qu’elles impliquent. Et ce pour préserver ce secteur dont l’importance, intrinsèque et induite, n’est plus à démontrer tant au niveau de la dimension économique et sociale qu’au niveau de la dimension civilisationnelle. L’étude recommande ainsi de profiter de cette « pause » pour mettre à niveau, rénover les unités hôtelières en utilisant au maximum les produits de l’artisanat tunisien et adapter la capacité hôtelière aux exigences du tourisme de proximité.
S’agissant de l’investissement direct étranger, l’étude recommande, compte tenu des appels de relocalisation lancés, de plus en plus dans les pays traditionnellement exportateurs de capitaux. Il est vital d’accorder à cet aspect une grande priorité en mettant en place, éventuellement, des mécanismes de soutien et d’encadrement. Et ce pour ne pas donner des arguments aux partisans de la relocalisation. « Pourquoi, d’ailleurs, ne pas tirer profit de cette lame de fond en revendiquant notre appartenance à la région euro-méditerranéenne ? », s’interroge le conférencier.
Une nouvelle mouvance se profile
La Tunisie gagnerait à engager rapidement les études pour préciser les redéploiements requis aussi bien sur les plans stratégiques que sur le plan des politiques et des programmes d’actions pour optimiser la nouvelle mouvance qui se profile et des importantes opportunités d’expansion dans les secteurs de la santé, de l’éducation, des produits pharmaceutiques, de la recherche scientifique, de l’économie numérique et de l’économie verte.
Sur le plan social, l’étude recommande d’accélérer les programmes d’insertion des catégories sociales à faible revenu ne disposant pas de couverture sociale dans l’économie formelle, moyennant la mise en place en leur faveur de régimes simplifiés sur le plan fiscal et sur celui des cotisations sociales ainsi que l’engagement de vastes campagnes de sensibilisation.
Dans ce même contexte, il faudra approfondir la réflexion concernant l’institution d’un revenu minimum universel, financé par une partie des transferts sociaux, en tant que levier de rationalisation de l’allocation des ressources et puissant instrument de lutte contre la pauvreté.
Numérisation, ressources humaines, santé et environnement
Pour conclure, le débat a souligné la nécessité de négocier l’important tournant de l’économie mondiale qui semble se profiler à la lumière des leçons et des enseignements qui en ressortent.
Dans ce cadre, la numérisation est appelée à prendre un essor considérable dans l’administration, l’entreprise, l’école, l’hôpital. Cela ouvre de formidables opportunités pour améliorer les prestations et leur conférer davantage de transparence, pour réduire les disparités régionales, pour améliorer la qualité de vie tout en offrant des milliers d’emplois relativement bien rémunérés.
La crise que vit la Tunisie a déjà donné un important élan au travail à distance. Il faudra cependant aller encore plus vite, plus loin, dans le cadre d’une approche intégrée sous-tendant un renforcement de l’infrastructure de l’internet haut débit, un développement de l’industrie du contenu et de service numérique ainsi qu’un important essor de la recherche scientifique en matière notamment de la sécurité des réseaux.
Sur un autre plan, la préservation des ressources humaines, comme première priorité, devrait permettre à la Tunisie de se hisser durant l’après Coronavirus. Cela confortera les choix faits depuis l’indépendance. Elle offrira de formidables opportunités de rayonnement et de développement.
Ainsi, l’aura acquise par le secteur de la santé, dans la lutte contre le coronavirus, pourra être un important stimulant pour en faire un secteur d’excellence, à même de fournir des prestations de soins de qualité pour les tunisiens mais aussi pour les étrangers à l’échelle régionale.
Sur le plan environnemental, la Tunisie à tout intérêt à se positionner rapidement parmi les pays respectueux de l’environnement. Cela aura un impact positif sur la santé des tunisiens, sur la compétitivité extérieure du produit tunisien et sur son image de marque.
Reprendre confiance
En effet, la crise du coronavirus pourrait être une formidable chance pour la Tunisie pour mettre fin aux tiraillements, dépasser les doutes, reprendre confiance dans la qualité de nos cadres et dans notre force de travail, pour retrouver un nouveau souffle et passer à une vitesse supérieure.
La mobilisation de tous est nécessaire, pour créer une synergie entre l’Etat, les entreprises et les établissements publics, le secteur privé dans sa diversité, les organisations nationales et la société civile, pour entretenir l’élan salvateur de solidarité envers les personnes et les entreprises les plus exposées et pour se forger une forte volonté transcendant les problèmes et les difficultés.
La tâche ne sera pas aisée. Elle suppose d’importants efforts de restructuration, de réforme, d’investissement et des sacrifices pour le court terme. Elle implique, aussi et surtout, beaucoup d’humilité pour apprendre de nos erreurs et pour mieux tirer profit des expériences des autre pays, qu’ils soient développés, émergents ou en développement.