L’informel, l’illégal, le hors-la-loi, au noir…économie parallèle…seraient une sorte de phénomène anormal. Et pourtant Yvon Pesqueux a précisé, dans un article paru en 2012, intitulé L’économie informelle, une bonne mauvaise pratique ?, qu’ «il serait intéressant de distinguer entre un bon et un mauvais informel, qualifié ici de conforme (sous-entendu, conforme à la situation socio-économique du pays. Donc bien loin des référentiels institutionnalisés)».
Les concepts et l’ingénierie sémantique élaborés par les instances internationales constituent un problème majeur. Et ce, pour la plupart des pays pauvres. Ce sont des prisons intellectuelles à ciel ouvert. Ces concepts sont souvent traduits de l’anglais, appliqués de manière standard et universellement semés à travers la planète. Ils deviennent des dogmes omniprésents dans l’esprit des dirigeants des économies en développement. Souvent sous la pression des conditionnalités qui accompagnent les prêts consentis. Or selon l’Organisation internationale du Travail, en 2020, les travailleurs officiels ne représentent que 38% de tous les travailleurs dans le monde. Et le reste sont des travailleurs dans l’informel. L’emploi informel représente 90% de l’emploi total dans les pays à faible revenu. 67% dans les pays à revenu intermédiaire et 18% dans les pays à revenu élevé.
Dans les pays pauvres, l’économie informelle couvre pourtant plusieurs types d’activités visibles. Elles sont opérées en plein soleil sur nos marchés hebdomadaires en particulier.
Une économie d’urgence
Dans le but d’assurer la survie des plus démunis parmi nous, le secteur informel comprend des activités. Ces dernières qui procurent le plus souvent des revenus de subsistance. Elles représentent aussi un filet de sécurité en temps de crise. A cause du manque de possibilités d’emplois officiels capables d’absorber la main-d’œuvre excédentaire.
La survie est aujourd’hui reconnue comme étant la principale cause de l’apparition de ce type d’activités. Le secteur informel joue un rôle crucial et persistant. En représentant un fournisseur d’emplois à une catégorie de la société dépourvue du minimum nécessaire.
La fragilité de l’informel
Travaillant quoi qu’il advienne pour s’assurer un revenu pour se nourrir et nourrir leurs familles, les travailleurs informels sont vulnérables aux chocs qu’ils soient économiques ou sanitaires.
Le secteur informel a été largement impacté par la crise sanitaire Covid-19. Cette crise qui représente la plus grave récession qu’ait connue le monde depuis la Seconde Guerre mondiale.
De nombreux travailleurs informels se trouvent dans une situation de blocage. Ces travailleurs s’appauvrissent davantage. Ils sont plus vulnérables à la faim et aux épidémies. Car non couverts par aucune forme de protection.
Cette crise menace la survie même de ces travailleurs informels et de leurs familles. En perdant leur travail, les entreprises informelles n’ont d’autre alternative que d’utiliser leur modique capital à des fins de consommation.
Les estimations récentes de l’OIT montrent que la perte de revenu du travail entraîne une aggravation de la pauvreté chez ces travailleurs informels. Plus de 21% dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, près de 52% de haut à revenu faible et 56% dans les pays à faible revenu.
Les risques de l’informel : la violation des mesures sanitaires
Il est fort à parier que cette crise mondiale aggravera la situation de ce type de travailleurs. Car ils subissent des pertes économiques fatales et croissantes. Ils se trouvent dans une situation où ils sont souvent amenés à violer les mesures de confinement. Avec la possibilité d’avoir des effets négatifs sur la santé publique en maintenant leurs revenus et le respect des mesures de confinement en perdant leurs revenus de survie.
L’angle mort de nos économies
S’il y a une chose que cette crise a mis en évidence, c’est que les travailleurs informels sont exclus des décisions économiques et sociales. Dans ce contexte particulier, une action urgente s’avère nécessaire pour formaliser ces travailleurs. Et ce, afin d’atténuer la pauvreté et les inégalités.
Mais pour cela, il importe de sortir du carcan des dogmes et de leurs prisons conceptuelles. Le wording doit être revu, et avec lui, tout un regard et un mode de pensée plus conforme à nos réalités sociales.
(Par Sana Zouari, Université de Sfax et Université Côte d’Azur / Dhafer Saidane, Pr. SKEMA Business School)