L’interview accordée par le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh à France 24 a fait couler beaucoup d’encre. Des spécialistes en communication et en relations publiques ont pointé du doigt plusieurs défaillances et lacunes au niveau de la communication gouvernementale adoptée, aussi bien sur la forme que le contenu.
Pour bien analyser la démarche adoptée dans la communication du chef du gouvernement, leconomistemaghrebin.com a invité Salaheddine Dridi, ancien journaliste professionnel, ancien rédacteur en chef et ancien directeur de communication.
Serait-ce un publireportage ?
Pour Salaheddine Dridi, les règles du jeu sont claires : quand un homme politique décide de communiquer, c’est qu’il a un message clair à transmettre qui s’inscrit dans le cadre de l’l’intention de communiquer. Quelle était alors l’intention de communiquer d’Elyès Fakhfakh sur France 24 qui a programmé cette interview ? Quel message a-t-il voulu transmettre et pour quels destinataires en réponse à des questions ouvertes ?
Salaheddine Dridi estime que l’intention de communiquer du chef du gouvernement et de France 24 n’étaient pas claires. « Techniquement et sur le plan de la forme, c’est une sorte de dossier spécial. C’était aussi une interview portrait laudative. Elle n’était en effet pas faite pour contredire ni pour mettre en difficulté l’interviewé conformément aux normes professionnelles de ce genre journalistique. Contrairement aux canons de l’interview journalistique au sens professionnel, les questions étaient préparées. Elles ont été enregistrées telles quelles ! Serait-ce un publireportage téléphoné qui a fini par dire son nom ? », s’interroge Salaheddine Dridi.
Et d’ajouter que les réponses du chef du gouvernement étaient données, avec absence de questions contradictoires, sous forme d’un discours à connotation locale. En revanche, il aurait pu mieux l’orienter vers un auditoire international.
« Le chef du gouvernement a parlé à une chaîne étrangère dans un contexte national tendu et dans un moment ramadanesque spécifique. Son discours était décalé de l’actualité nationale au moment de sa diffusion », estime Salaheddine Dridi.
Au niveau du contenu, le chef du gouvernement a répondu aux questions en termes de lutte et de défense. Il s’est attaqué à ses adversaires politiques sur un canal étranger. « Ceci ne relève pas de l’éthique politique », note Slaheddine Dridi.
Une occasion ratée !
Le chef du gouvernement aurait dû communiquer à propos d’une Tunisie victorieuse et forte de ses élans de solidarité nationale dans sa lutte contre la propagation du Covid-19. Et ce, par son propre savoir-faire scientifique. Aussi, il n’a pas évoqué le côté innovation et la maîtrise tunisienne du high-tech par la gestion numérique réussie de la crise dans un contexte extrêmement difficile (utilisation des robots, fabrication de matériel de protection, lancement de plusieurs plateformes numériques par des jeunes startuppers…).
Il fallait aussi rappeler les bons résultats réalisés par la médecine tunisienne et le personnel soignant ainsi que l’apport de la femme tunisienne en la matière. Comme la mise en évidence, par une équipe médicale tunisienne, composée en majorité par des femmes, de l’ARN du SARS-CoV-2 (Coronavirus).
Pour Slaheddine Dridi, le chef du gouvernement a réussi sa première sortie médiatique mais a raté sa deuxième sortie sur le confinement lorsqu’il a défendu son ministre de l’Industrie et des PME quant à l’affaire du marché des bavettes.
« Le chef du gouvernement est en train de perdre beaucoup de points de son crédit médiatique. Il a besoin de rectifier le tir. Il doit revoir sa copie communicationnelle. Il a raté une troisième sortie médiatique lors de l’annonce faite par la ministre Lobna Jerbi de la stratégie nationale du déconfinement progressif et ciblé. Il s’est absenté du paysage. C’était une mascarade médiatique », ajoute notre invité.
Défis de la prochaine étape
Pour rappel, la stratégie nationale du déconfinement progressif prendra fin le 14 juin prochain. Le défi consiste à bien communiquer le post-Covid. Ce sera certes une occasion pour présenter les résultats accomplis sur le plan socio-économique et sur le plan de la réussite de la stratégie sanitaire de la Tunisie.
En effet, le chef du gouvernement aura ainsi l’occasion d’expliquer, en toute transparence et de façon claire, du sort des dons et aides collectés, les solutions pour combler le déficit budgétaire, ses sources de financement, la relance de la croissance et les moyens pour dépasser les périodes difficiles qui pointent à l’horizon au niveau économique et social.
Au final, Slaheddine Dridi a tenu à affirmer que « la communication politique est très importante. Il ne faut pas rater le premier coup. Car le discours politique par le biais des médias est un art. Ceci est largement tributaire aussi de la communication présidentielle et parlementaire nécessaire pour la démocratie qui ont, jusqu’à aujourd’hui, totalement échoué ! »