Il est beaucoup plus facile de commencer une guerre que de la finir. Celle déclenchée à grand fracas d’annonces contre le Covid-19 ne déroge pas à la règle. Elle illustre même plus que tout autre ce postulat vieux comme le monde.
A l’heure du déconfinement, qu’il soit partiel, progressif ou ciblé, tous les gouvernements éprouvent les mêmes appréhensions. Ils ressentent les mêmes craintes et difficultés. Il est beaucoup plus commode de prôner l’enfermement, en agitant à raison d’ailleurs l’épouvantail de la menace de la pandémie du coronavirus.
Les gouvernements se parent, à ce titre, de toutes les vertus politiques en décrétant à temps le confinement général pourtant durement ressenti comme le serait n’importe quel emprisonnement, fût-ce à domicile.
Il est, en revanche, beaucoup moins aisé parce que moins consensuel d’engager le compte à rebours de l’allègement du dispositif du dé-confinement. Difficile de maîtriser le passage de l’emprisonnement à la liberté fût-elle conditionnelle, de crainte de voir resurgir une deuxième vague de contamination tout aussi meurtrière.
Les frustrations accumulées tout au long du confinement, les contraintes subies, le désir de liberté, le besoin de retrouver une vie normale et de reprendre le travail s’il n’est déjà perdu pour toujours ne sont pas seuls en cause des risques de débordements.
« A l’heure du déconfinement, qu’il soit partiel, progressif ou ciblé, tous les gouvernements éprouvent les mêmes appréhensions »
Les hésitations, les tergiversations et l’impréparation des autorités y sont pour beaucoup dans l’exacerbation des sentiments et des tensions. Les individus et les professionnels craignent pour la pérennité de leurs sources de revenus et la survie de leurs activités contraintes à l’arrêt.
Sacrifier l’économie sur l’autel de la santé des Tunisiens qu’il faut à tout prix protéger confère à la politique ses titres de noblesse. Et donne tout leur sens aux valeurs de liberté et d’humanité d’une démocratie. Les autorités publiques sont dans leur rôle en voulant faire barrage à la pandémie, préserver des vies en évitant l’écroulement du système sanitaire.
Mais ce principe de précaution se lézarde quand il est poussé à l’extrême, alors même que la menace du coronavirus s’estompe au fil des jours. Sauf à nourrir un quelconque dessein politique en se servant de la poursuite de la « guerre » contre le Covid-19 pour monter dans l’échelle de sympathie et d’appréciation d’une opinion des plus volatiles ou pour faire taire les critiques d’avant et d’après-Covid 19.
Les pouvoirs publics ne résistent pas à la tentation de vouloir tirer un profit politique d’une victoire finale qui devait les conduire à nettoyer les poches résiduelles de contamination. Ils ne répugnent pas à jouer les prolongations à l’amorce de la dernière ligne droite. Comme s’il ne s’agissait pour l’exécutif que d’obtempérer aux injonctions où, à tout le moins, aux recommandations des experts scientifiques qui n’ont d’autre religion que celle du risque zéro.
Le fait est qu’avec le dé-confinement total, c’est une autre guerre qui s’annonce, tout aussi dévastatrice politiquement, économiquement et socialement. Comment, en effet, ressusciter nos PME à l’encéphalogramme plat ? Il faut à l’évidence plus que les mesures de protection sociale et de soutien aux entreprises à la hauteur de nos maigres moyens financiers pour qu’elles se remettent à produire des richesses et créer des emplois ? Comment s’y prendre pour faire redémarrer notre économie déjà en mal de croissance, sans horizon clair et sans cap précis ?
« Le fait est qu’avec le dé-confinement total, c’est une autre guerre qui s’annonce, tout aussi dévastatrice politiquement, économiquement et socialement »
Que faire pour qu’elle puisse émerger de cet immense champ de ruines industriel et éviter qu’elle ne plonge dans les ténèbres de la pire des récessions ? FMI et BM nous prédisent rien de moins qu’un recul du PIB de 4,7%. D’autres experts et non des moindres prophétisent une chute de 8 à 10%. La cohésion sociale et la démocratie survivront-elles à ce tsunami ?
Comment calmer et apaiser le front social ? La Centrale ouvrière nous prédit une campagne d’été des plus chaudes, excédée qu’elle est jusqu’à l’indignation par l’explosion des prix, véritable machine à fabriquer sans arrêt de nouveaux pauvres ? Comment contenir les accusations en tout genre, fondées ou non, de l’opposition prompte à déterrer la hache de guerre en temps de paix.
Les hostilités reprennent à l’apparition des premiers signaux de déconfinement qui ont fait voler en éclats la sacro-sainte unité nationale bâtie à l’effet de ne pas entraver l’action gouvernementale dans « sa guerre » contre le virus. La levée de boucliers ne s’est pas fait attendre et déjà, les diverses oppositions font feu de tout bois.
Comment entretenir un minimum de cohésion gouvernementale quand ses principales composantes n’ont pas attendu le signal de sortie de crise sanitaire pour s’accuser mutuellement jusqu’à s’entre-déchirer. L’attelage ministériel n’est pas des plus solides pour pouvoir porter l’action gouvernementale le plus fort et le plus loin possible.
Vaincre le Covid-19 dont la menace jetait un voile pudique sur les contradictions, la vulnérabilité, les malentendus d’un gouvernement à la recherche du plus petit dénominateur commun est une opération à haut risque, une victoire à la pyrrhus. C’est en effet dans sa guerre contre le Covid-19 que le gouvernement Fakhfakh trouvait la paix aujourd’hui menacée au son du clairon.
Battre, encore et encore le rappel contre le virus, agiter le chiffon rouge d’une probable menace d’une deuxième vague de contamination accordent au gouvernement un nouveau répit en le confinant dans ce qui s’apparente à une véritable zone de confort. Mais jusqu’à quand ?
Rarement gouvernement dans l’histoire de la jeune République aura été confronté à de pareils chocs économiques, tensions sociales et tiraillements politiques. Rarement il aura souffert d’autant de manque de moyens financiers, de marges budgétaires laminées et d’un si grand nombre de contraintes. Il n’a pas besoin, dans ce climat délétère chargé d’incertitudes et de menaces, de voir se raviver ses propres querelles de chapelle pour redresser l’économie en pleine déconfiture, colmater les fractures sociales et mobiliser les ressources nécessaires sans ajouter la crise à la crise.
On sait peu de choses pour l’heure sur les véritables intentions des autorités en l’absence d’une feuille de route claire et précise et on n’est pas plus rassuré quant aux effets du plan d’aide de l’Etat aux entreprises qui se limite à peu de liquidités au regard de leurs besoins et des pertes qu’elles subissent.
« On sait peu de choses pour l’heure sur les véritables intentions des autorités en l’absence d’une feuille de route claire et précise »
A peine un peu plus de 2% du PIB quand dans le monde les puissances industrielles et les pays émergents ont mis en place d’énormes plans d’aide au-delà de ce qu’on peut imaginer en temps de paix. USA, Chine, Japon, UK ont saturé, ici et là, les entreprises de liquidités.
La Zone Euro n’a jamais autant mérité son nom. Elle n’a résisté aux tentations nationales et au repli sur soi que grâce à la montagne d’Euros qui l’a submergée. Au total, elle a mobilisé, à l’instar des grands de ce monde, une force de frappe monétaire d’une puissance inégalée pour soutenir la demande et stimuler l’offre. On est bien loin de ces mannes célestes à cause de l’état sinistré de nos finances publiques.
L’héritage autant que le passif est tellement lourd qu’il réduit à néant ou presque les marges de manœuvre du gouvernement qui n’ose pourtant pas l’avouer, alors qu’il est pleinement acté. Quant à nos réserves de change, elles fluctuent au gré des emprunts. Qu’il faut, quoi qu’on ait pu dire, relancer tout en s’employant à reprofiler une partie de la dette contractée, notamment auprès des Etats ou des organismes multilatéraux.
Nécessité fait loi
Il faut pouvoir s’endetter pour amortir le choc aussi violent que celui du Covid-19. Dans l’immédiat, le financement de la relance ne pourra se faire que par l’emprunt. Et avec le soutien actif de la BCT. Peu importe si la dette est déjà insoutenable et qu’un surcroît d’endettement plongerait le pays dans le rouge vif. Le pire des scénarios serait une grave récession aux conséquences dévastatrices. Le poids de la dette ne doit pas peser trop lourd sur la balance.
Le monde d’avant ne doit pas hypothéquer celui d’après-Covid 19. L’important est de réussir à convaincre nos bailleurs de fonds institutionnels de la crédibilité et de la pertinence de nos choix et de l’usage des fonds empruntés. La dette dans la perspective d’un redressement de l’investissement et de l’économie n’est pas un crime en soi.
Le châtiment vient du mauvais usage qu’on en fait quand celui-ci privilégie la consommation aux dépens des investissements d’avenir, quand il sacrifie l’avenir au profit de satisfactions immédiates sans qu’elles ne servent d’ailleurs à élever la courbe du bien-être collectif, si l’on en juge par la persistance des tensions sociales qui n’en finissent pas de saper les ressorts de l’investissement et de la production.
Mieux vaut emprunter, si tant est que cela reste possible, que de taper sans retenue sur les marchés, les entreprises qui n’en peuvent plus et tyranniser les populations excédées par une fiscalité confiscatoire. Le poids de la fiscalité majoré des charges sociales – alors que le taux de chômage des jeunes diplômés serait au-dessus les 20% – dépasse l’entendement et confine à l’enfer fiscal les entreprises et les personnes physiques.
« Le pire des scénarios serait une grave récession aux conséquences dévastatrices. Le poids de la dette ne doit pas peser trop lourd sur la balance »
Les premières perdent le goût et l’envie d’entreprendre, et les secondes toute motivation au travail. Quand allons-nous nous convaincre de cette idée que trop d’impôts tuent l’impôt dans un monde global où les investisseurs locaux comme nos compétences nationales ont d’autres lignes d’horizon que le périmètre national ?
La sagesse voudrait que l’on s’interdise de casser les ultimes ressorts de l’investissement en faisant de la fiscalité la principale source de financement du budget de l’Etat alors que le pays plonge dans la pire des récessions.
Compter sur nos propres ressources ne signifiera rien d’autre que davantage de pression fiscale, déjà l’une des plus élevées dans la région. Il ne peut être autrement tant il paraît difficile d’élargir l’assiette fiscale dans l’immédiat, en période trouble de surcroît.
On ne peut sans se donner le temps et une véritable pédagogie des enjeux intégrer les 400 mille forfaitaires et les évadés fiscaux qui font florès, à cause notamment du niveau de taux d’imposition. Une réforme fiscale se conçoit dans la durée et ne peut être menée à son terme que dans un climat apaisé. On n’en est pas là, loin s’en faut.
Alors de grâce, mieux vaut explorer la piste de l’endettement. Le contexte mondial s’y prête. A charge pour nous de tenir nos engagements de réformes et de rationalisation des dépenses publiques. Il faut un acte d’audace et de foi pour souscrire à de nouveaux emprunts destinés à redresser le pays, placé il y a si peu de temps encore sous les fourches caudines et l’aile humiliante du FMI. Il faut de bien plus importants moyens financiers que ce que rapporteront de nouvelles ponctions fiscales, du reste improductives, pour concevoir et présenter un véritable plan de relance.
Serait-ce trop peu et trop tard ? Pas nécessairement. Certes la Tunisie d’aujourd’hui ne fait pas rêver. Et elle ne doit pas s’obliger à le faire. Elle doit, en revanche, résoudre au plus vite les problèmes qui assombrissent son horizon. Nous sommes dos au mur. Pour nos entreprises, pour notre économie, c’est une question de vie ou de mort. Insubmersible Tunisie ? Sans doute.
Ce pays a montré par le passé qu’il a suffisamment de ressources, de patriotisme, de rage de vaincre pour ne jamais sombrer. Pour rebondir là où on l’attend le moins. Encore faut-il qu’il ne soit pas plombé par le boulet fiscal. C’est dans l’adversité et les situations les plus difficiles que le pays s’est toujours révélé. Tel qu’en lui-même.