Que dit la Constitution du cas inédit où un chef du gouvernement démissionne volontairement de son poste ou s’il en était contraint par une motion de retrait de confiance ?
Deux éminents spécialistes du droit constitutionnel éclairent nos lanternes sur cet épineux sujet.
Empêtré dans cette sale affaire de prise illégale d’intérêts, pour ne pas dire de corruption, l’étau se resserre de plus en plus autour d’Elyes Fakhfakh, au cœur d’un « scandale d’Etat ». Alors prendra-t-il lui-même la courageuse décision de démissionner ? Ou se verra-t-il contraint de prendre la porte de sortie par un humiliant retrait de confiance ?
Bras de fer
C’est dire que dans le deuxième scénario, le sort du chef du gouvernement n’est plus entre ses mains. En effet, par une manœuvre perfide, Ennahdha prétend le soutenir. « Jusqu’à nouvel ordre à condition qu’il ne soit pas impliqué dans une affaire de corruption ». Tout en poussant ses pions pour la désignation d’un successeur. De préférence issu de ses rangs ou du moins aux ordres.
Quant au Président de la République. Qui ne s’exprime pas ouvertement sur ce sujet – étant lui-même responsable de la désignation de M. Fakhfakh. Il aurait discrètement conseillé à son protégé de démissionner. Mais en homme soucieux de la légalité. Se plaçant dans le rôle d’arbitre. Il attend que le parlement se décide à poser une motion pour le retrait de confiance. Dans tous les cas de figure, les jeux sont faits. A moins d’un spectaculaire rebondissement dans cette ténébreuse affaire.
« Responsable, il doit démissionner »
Mais que prévoit la Constitution en cas de démission du Chef du gouvernement ? Ou du retrait de confiance au gouvernement Fakhfakh ? C’est dans ce contexte inédit que l’expert en droit constitutionnel, Slim Laghmani, est intervenu dans ce débat. Estimant « qu’en vertu de la Constitution, le chef du gouvernement doit démissionner avec l’ensemble de son gouvernement ».
Le juriste s’appuie sur les déclarations du président de l’Instance nationale de la lutte contre la corruption, Chawki Tabib, lequel estime qu’Elyes Fakhfakh a violé la loi et la Constitution en n’ayant pas abandonné ses postes à la tête de cinq sociétés alors qu’il était en fonction.
Et d’argumenter : « Etant responsable, il doit démissionner et en vertu de la Constitution, sa démission emporte la démission de l’ensemble du Gouvernement ».
« Pourquoi doit-il démissionner ? Pour remettre son mandat à l’autorité qui l’a proposé, le Chef de l’Etat.
En vertu du dernier paragraphe de l’article 98 de la Constitution, le chef de l’Etat a la compétence de proposer un autre candidat à la présidence du Gouvernement en cas de démission du président du Gouvernement en exercice. Par contre, en cas de motion de censure aboutie, c’est l’ARP qui propose un nouveau candidat (article 97 ), a tranché Slim Laghmani dans une publication sur son compte facebook.
Pour sa part, le professeur Salsabil Klibi, spécialiste de droit constitutionnel, a précisé qu’en cas de démission « le chef de l’Etat doit désigner un nouveau chef de gouvernement pour qu’il forme son gouvernement et sollicite la confiance du parlement ».
Le président, seul maître à bord
« Cependant, la démission du Chef du gouvernement est synonyme de la démission de tout le gouvernement et, dans ce cas, le Président de la République prendra les commandes comme cela a été le cas avec la désignation de l’actuel Chef du gouvernement Elyes Fakhfakh », a-t-elle souligné sur les pages de notre confère, le quotidien francophone La Presse.
Double vote
Et que prévoit la Constitution dans le cas de retrait de confiance par le Parlement ? « Le retrait de confiance au gouvernement requiert l’approbation de la majorité absolue des membres de l’Assemblée, soit 109 députés. Cette même motion inclura la présentation d’un candidat en remplacement du Chef du gouvernement dont la candidature doit être approuvée lors du même vote et que le Président de la République charge de former un gouvernement. Il s’agit donc d’un double vote. Cela permettra aussi aux députés initiateurs de la motion de censure de proposer une nouvelle personnalité pour former le nouveau gouvernement », a précisé Salsabil Klibi.
Reste la question qui brûle les lèvres : la Tunisie, qui sort exténuée et en lambeaux de la crise sanitaire, est-elle en mesure de surmonter une nouvelle crise politique de cette ampleur alors que le bateau prend l’eau de toutes parts ?