Le 2 juillet dernier, le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) et la Banque Mondiale (BM) organisaient la quatrième session de l’Economic Policy Dialogue portant sur le secteur du tourisme et plus précisément sur le thème : « Pour une reprise du secteur face à la crise de Covid-19 : renforcer sa résilience et favoriser sa montée en gamme ». L’occasion nous a été donnée de réunir autour d’une même table un large éventail d’acteurs clés du secteur. Parmi lesquels des représentants des ministères du Tourisme et de la Culture, des fédérations professionnelles, du système bancaire et financier, des unités hôtelières, des maisons d’hôtes et de l’artisanat ainsi que du journalisme spécialisé.
Le débat, organisé par le PNUD et la BM, était passionné, franc et responsable et a permis de mettre en avant les défis fondamentaux du secteur en lien avec l’impact important de la crise sanitaire de Covid-19, le problème de l’endettement et de la restructuration du secteur. Il a permis également d’aborder la question fondamentale de la nouvelle vision nécessaire pour le développement de ce secteur.
Le tourisme est un secteur vital pour la Tunisie avec un poids direct et indirect pouvant aller jusqu’à 14% du PIB et 300 000 emplois directs et indirects. C’est aussi un secteur fortement exposé aux chocs extérieurs, et ce, depuis une dizaine d’années. Il a été lourdement impacté par l’instabilité sécuritaire et notamment les attentats terroristes de 2015. Ainsi que la faillite de Thomas Cook en 2019, l’un des Tours-opérateurs majeurs en Tunisie.
La crise sanitaire de Covid-19, bien qu’ayant été rapidement contenue en Tunisie, comparativement à d’autres pays voisins et partenaires, plonge de nouveau le secteur, déjà largement fragilisé, dans une crise grave et une lourde incertitude quant aux possibilités de reprise immédiate ou à court et moyen termes.
Cependant, les difficultés du secteur sont antérieures à 2011 et à l’instabilité sécuritaire qui s’en est suivie. Ce qui a fait le succès du modèle touristique tunisien depuis sa création dans les années 1960, à savoir le tourisme balnéaire de masse adressé à une clientèle européenne à faible pouvoir d’achat, qui a connu un essoufflement dans les années 2000. Avec notamment des difficultés à monter en gamme dans un environnement régional fortement concurrentiel (Maroc, Égypte, Malte, Espagne, Portugal), un service en deçà des exigences internationales et des infrastructures de faible qualité.
Il est possible de rajouter à cela la faible capacité de diversification de l’offre touristique et la focalisation sur un seul type de produit, balnéaire de masse. L’introduction de l’offre «All-inclusive » a contribué à appauvrir la qualité du produit touristique ainsi que le potentiel de développement de tout l’écosystème environnant les unités hôtelières (commerces, restaurants, cafés, etc.).
La pandémie de Covid-19 a provoqué une profonde déstabilisation de l’ordre socio-économique mondial mais, même si ses impacts sont largement négatifs. Elle devrait marquer un tournant dans la manière de penser et de concevoir les politiques publiques. Et ce, en tirant les enseignements nécessaires et en intégrant les nouvelles normalités qui s’imposent à nous.
Le secteur du tourisme est très exposé aux chocs. Il est donc important de réfléchir au renforcement de sa résilience. Celle-ci passerait certes par une nouvelle vision du secteur qui doit être appuyée par un schéma d’investissement et de financement adapté y compris par l’assainissement de son endettement, la modernisation des infrastructures, une amélioration des compétences pour une meilleure qualité de service et une communication valorisant le patrimoine historique, culturel et naturel dont regorge le pays.
Toutes les parties qui étaient présentes au débat du PNUD et BM ont mentionné la nécessite d’une nouvelle vision du secteur à travers une diversification de l’offre. Et ce, en prenant en considération tout le potentiel des régions et la montée en gamme par l’émergence de nouveaux produits touristiques.
Le tourisme résidentiel, par exemple, consistant à attirer de façon durable une clientèle étrangère à fort pouvoir d’achat, pourrait être une des alternatives pour une évolution du secteur. Le développement d’un tourisme alternatif selon une approche intégrée favorisant la mise en valeur des richesses culturelles, agricoles et historiques des régions, est également un modèle à privilégier et à développer absolument.
En effet, la Tunisie dispose d’un patrimoine culturel, historique et naturel, qui, si valorisée convenablement, pourrait aider à attirer plus de touristes. Il y a eu plusieurs idées intéressantes des acteurs du secteur autour de la valorisation des patrimoines locaux, du marketing territorial qui peuvent mettre en avant un produit touristique haut de gamme bien intégré dans son environnement. Des modèles de financement en partenariat public/privé de musées ou d’infrastructures collectives pourraient aussi aider à soutenir l’écosystème touristique au niveau régional.
Cette nouvelle vision du secteur devrait aller dans le sens d’un écotourisme responsable au niveau social et environnemental, qu’il serait possible d’encourager. Notamment à travers la mise en place de mécanismes de financement verts. Et ce, en prenant en considération le facteur de risque de changements climatiques et en intégrant des critères environnementaux clairement définis. En obligeant également à une prise de conscience par le secteur privé et les opérateurs du secteur d’une manière générale de l’enjeu environnemental. Une offre touristique responsable sur le plan écologique est aussi un moyen de répondre à une demande émergente d’une nouvelle clientèle. Une clientèle de plus en plus concernée par le respect de l’environnement.
Dix ans nous séparent de la réalisation des Objectifs du Développement Durable et de l’Agenda 2030. La pandémie de Covid-19 a considérablement fragilisé certains acquis, notamment ceux en lien avec le développement humain et l’environnement.
Toutes les recommandations lors du débat du PNUD et la BM convergent vers la nécessité de repenser l’après-Covid et au-delà. Et ce, en mettant l’humain au centre des préoccupations. Et en adressant les problématiques socio-économiques en étroite relation avec celles climatiques et environnementales.
Pour la Tunisie, et le secteur du tourisme précisément, saisissons donc l’opportunité de la pandémie pour impulser un changement de paradigme et aller vers un tourisme alternatif responsable, inclusif et vert. Et ce, tout en renforçant les structures existantes et en favorisant leur montée en gamme.
Par Steve Utterwulghe, Représentant Résident PNUD Tunisie, et Tony Verheijen, Représentant Résident Banque Mondiale en Tunisie.