« Les sondeurs se trompent. Ils induisent même les citoyens en erreur« . L’opinion s’est habituée à ce discours de la part de nos politiques. Ne faut-il pas, et sans se ranger nécessairement du côté des cabinets de sondage d’opinion, tempérer ce discours. N’y-a-t-il pas en la matière un déficit de la culture démocratique chez certains de nos partis et de leurs dirigeants?
Et rebelote. L’annonce des résultats des intentions de vote si les élections législatives avaient lieu aujourd’hui, publiées le 14 août 2020, par le cabinet Sigma Conseil, dans les colonnes de notre confrère Le Maghreb, nourrit de nouvelles critiques –pour ne pas dire plus- de la part de certains acteurs politiques.
Un sondage qui a montré que « le Parti destourien libre (PDL) est crédité de 35,8 points en tête aux prochaines législatives. Avec une longueur d’avance de 14 points sur le mouvement Ennahdha qui totalise 21,9% ».
Des critiques quelquefois acerbes. Un responsable a estimé, dans un post sur Facebook, que « Hassan Zargouni, le patron de Sigma Conseils, entendait rééditer ce qu’il avait entrepris pour Nidaa Tounes ». Parlant d’une opération en vue de « fabriquer l’opinion publique ». Tel autre a soutenu, toujours sur Facebook, que Sigma Conseils « démolit l’Etat et joue avec l’avenir du pays ». En évoquant « un sondage d’opinion orienté ».
Des réactions qui se produiront toujours sans doute tant que la Tunisie ne se sera pas dotée d’une loi sur les sondages d’opinion politique. Comme en France, où un texte (la loi du 19 juillet 1977) réglemente ce type d’exercice, un des leviers de toute société démocratique.
Une nécessaire loi sur les sondages
Une loi qui a été depuis modifiée. Elle a créé une commission des sondages « chargée d’étudier et de proposer des règles tendant à assurer dans le domaine de la prévision électorale l’objectivité et la qualité des sondages publiés ou diffusés ». Et qui dispose « de tout pouvoir pour vérifier que les sondages ont été commandés, réalisés, publiés ou diffusés ».
Une loi qui a également adopté un ensemble de mesures en vue d’assurer aux sondages la crédibilité et la gestion dans une société démocratique répondant à de nombreuses obligations: transparence, rigueur méthodologique, bonne gouvernance, compétences techniques,…
Autant dire que la mise en place d’un cadre juridique pour la pratique des sondages d’opinion politique est nécessaire et salutaire. Il permettra d’assurer une pratique conforme aux règles démocratiques. Comme il favorisera une séparation du bon grain de l’ivraie. Car, les cabinets ne sont pas tous mauvais et leurs résultats toujours non fiables.
Cela étant, certains interrogations et réflexions ont tout lieu d’être concernant la pratique des sondages d’opinion politique en Tunisie. Que cela concerne Sigma Conseil ou tout autre cabinet pratiquant cet exercice. Trois semblent bien nécessaires. Elles peuvent mieux nous faire comprendre le vécu des sondages d’opinion en Tunisie.
Primo. Qui peut assurer que Sigma Conseil ou tout autre cabinet de sondage nous livre des résultats inexacts. Il y a évidemment les précautions d’usage dans tout sondage qui nous disent qu’il y a, par exemple, toujours, et dans toute opération de ce type, une marge d’erreur ou que les résultats sont valables au moment où les réponses ont été recueillies.
La mise en place d’un cadre juridique pour la pratique des sondages d’opinion politique est nécessaire et salutaire
Mais bien au-delà de tout cela, qui nous dit que les cabinets n’ont pas fait leur travail correctement. Qui nous prouve, à ce propos, qu’il y a toujours anguille sous roche? En clair que les résultats annoncés ne reflètent pas la réalité du terrain ou veulent induire les citoyens en erreur?
A-t-on fait parler, chaque fois, et à ce juste propos, les spécialistes d’un domaine qui exige somme toute une scientificité et ne permet pas l’introduction dans le débat des auteurs de ce qui paraît tenir quelquefois –excusez du terme- des « brèves de comptoir »?
L’expression « semble avoir été imaginée par l’auteur et le scénariste français, Jean-Marie Gourio, en 1988. Lorsqu’il a ainsi titré ses premières anthologies de bons mots directement captés au cours de ces conversations de bistrot. Où les interlocuteurs, généralement installés au comptoir du bar, passent leur temps à commenter l’actualité et la météo à leur manière et à refaire le monde ».
Refuser les sondages lorsque les résultats ne plaisent pas
Secundo. Les sondeurs ont tout intérêt à nous renseigner sur leurs approches et méthodes. On pourrait effectivement reprocher à des cabinets de sondage politique en Tunisie un réel déficit de communication. Journées portes ouvertes, voyages et visites de presse, séminaires,… Ils possèdent une panoplie de moyens pour nous renseigner sur les pratiques qui sont les leurs.
Et il ne peut s’agir seulement comme le font pratiquement tous nos sondeurs d’accompagner la publication des résultats d’une fiche technique qui nous livre la date du sondage, la taille et la composition de son échantillon, le questionnaire, le commanditaire,…Le public jugera sur pièce. Les critiques baisseront peut-être alors d’un cran.
Tertio. La question n’est-elle pas, entre autres, en rapport avec un déficit de la culture démocratique de certains de nos dirigeants politiques? Nous l’observons souvent clairement, la réaction chez certains est de refuser quasi systématiquement les sondages lorsque leurs résultats ne leur plaisent pas. Et se taisent dans le cas contraire. Sans qu’ils donnent toujours la preuve de ce qu’ils prétendent. Ce qui ne veut pas dire évidement que les sondeurs ont fait correctement leur travail. Il suffit pour s’en convaincre de voir qui réagit aux résultats de tel ou tel autre sondage.
Les partis et dirigeants politiques ne semblent pas cela dit avoir durablement intégré la pratique des sondages dans leur quotidien. On pourrait compter sur les doigts d’une main ceux qui savent leur réelle audience dans leur pays. Beaucoup croient que cela est possible de gagner une élection sans suivre de près les tendances de leur lectorat.
Peut-être que pour cela, comme on dit souvent, il faudra donner du temps au temps.