Beaucoup auront compris que le discours de Kais Saied prononcé le 5 septembre 2020, à l’occasion de la célébration de la Journée nationale du savoir, s’inscrit en droite ligne dans une stratégie d’ensemble qui veut être en harmonie avec son projet sociétal « Achaab Yourid« . Analyse.
D’abord une certitude: le Président de la République Kais Saied ne veut pas se contenter, pour reprendre une formule bien connue, d’inaugurer les chrysanthèmes. Une formule utilisée évidemment pour dire qu’il n’y a pas chez lui un désir –et malgré le fait que certains considèrent que les prérogatives du chef de l’Etat soient limitées- de ne pas influer sur le cours des événements.
Après la constitution du gouvernement dont on reconnaît son empreinte, il estime que, fort de son score à la présidentielle d’octobre 2019 (72,71% des voix), il se doit d’être un acteur principal de la vie politique. Il l’a assez démontré, le samedi 5 septembre 2020, en présidant la célébration de la Journée nationale du savoir, au Palais de Carthage.
Et que ses adversaires ou ceux qui n’acceptent pas cette réalité le comprennent bien: il ne reculera pas pour faire prévaloir ses idées qui sont, pour lui, celles de la majorité des Tunisiens, qui ont donc voté en masse pour lui. Et pour son projet sociétal qui –rappelons-le- a pour devise: « Achaab Yourid » (le Peuple veut).
« Garant de l’unité et de l’indépendance de l’Etat »
Il compte exercer de ce fait et de plein droit une pression permanente sur le gouvernement, sur les partis et sur le parlement auxquels il a assez montré jusqu’ici qu’ils n’ont pas la voie tout à fait libre devant eux, malgré leurs pouvoirs.
Dans sa logique, le chef de l’Etat doit se situer du reste en première ligne pour défendre les revendications et les intérêts des Tunisiens. La Constitution ne dit-elle pas que le Président de la République est « le symbole de l’unité de l’Etat, le garant de son indépendance et de sa continuité » (Article 72)?
Et qui en toute conscience dirait le contraire? Il va sans dire que la plupart des Tunisiens qui l’ont voté appellent de leurs voeux que le chef de l’Etat joue un rôle actif face à un gouvernement et à un parlement responsables à leurs yeux de la précarité de leurs conditions de vie d’aujourd’hui?
Et si les 65,1% des intentions de vote en sa faveur révélées par un récent sondage (le 14 août 2020) n’étaient là que pour apporter de l’eau au moulin à cette vision des choses? Un score qui le place bien devant la candidate du Parti Destourien Libre (PDL) que l’on dit avoir le vent en poupe (8,1%). Des scores qui sont, d’évidence, des indicateurs de sa popularité.
Kais Saied l’a du reste assez fait comprendre jusqu’ici à ses contradicteurs. Il a bien fait fi de leurs remarques et critiques. Leur répondant d’une manière aussi forte et énergique qu’ils l’ont souvent fait. Sa réaction du 2 septembre 2020 au lendemain de la plénière organisée pour accorder le vote de confiance au gouvernement Mechichi le prouve bien.
Et gare à ceux qui estiment qu’ils peuvent se soustraire à cette évidence: Kais Saied ne manquera pas d’agir pour obtenir gain de cause. Tout le monde aura compris, à ce niveau, que l’audience accordée, le 4 septembre 2020, au ministre de la justice, Mohamed Bousseta, n’est point fortuite; la première d’un ministre depuis la prise de fonctions bien récente de Hichem Mechichi.
Prendre l’opinion à témoin
Il s’agit bel et bien d’un message par lequel il a voulu montrer qu’il compte veiller au grain en matière d’application de la loi et de l’égalité de tous devant la justice. Une démarche qui se situe évidemment en droite ligne d’une autre. Lorsqu’il a signifié, le 22 juillet 2020, à l’ancien ministre des Domaine de l’Etat, Ghazi Chaouachi, qu’il était de sa responsabilité de faire aboutir l’affaire de la voiture accidentée conduite par la fille de l’ancien ministre des Transports, Anouar Maârouf.
Il va sans dire que le chef de l’Etat n’est pas le seul acteur de la scène politique et que ses prérogatives ne lui permettent pas d’engager les événements dans le sens que lui seul souhaite. Mais attention l’homme avance avec une stratégie qui paye: il a décidé de prendre l’opinion à témoin.
Le discours du 5 septembre 2020, au cours de la célébration de la Journée nationale du savoir, peut être appréhendé sous cet angle. D’autant plus qu’il entend être une force de propositions ; des propositions qui peuvent changer le cours des événements. Les idées forces développées au cours de son discours prononcé à cette occasion ne peuvent logiquement que mobiliser la majorité des Tunisiens.
Deux nous semblent essentielles: l’égalité de tous au niveau de l’enseignement pour redonner vie à cet ascenseur social qui a permis l’éclosion de compétences issues des couches populaires et de la classe moyenne, en panne les dernières années de gestion du pays. Et l’ enseignement de la philosophie dès l’école primaire et le collège pour faire front aux idées obscurantistes et créer des hommes libres d’esprit et responsables.
Dans cet engagement, force est de constater que Kais Saied sait qu’il n’a rien à perdre. Mais tout à gagner.