L’attaque terroriste contre des agents de la garde nationale en poste à l’entrée de la zone touristique d’El Kantaoui confirme la persistance de la menace terroriste qui pèse sur le pays. Une attaque qui confirme aussi que les forces de l’ordre et les zones touristiques constituent les cibles privilégiées des djihadistes de Daech ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. La sécurité devient donc une question centrale.
Le président de la République Kaïs Saïed a déclaré sur les lieux de l’attentat que « ceux qui pensent déstabiliser l’État sous-estiment le peuple tunisien ». Il n’empêche, ce type d’attaque représente également une menace pour la légitimité d’un Etat qui serait définitivement incapable de garantir la sécurité de ses citoyens. Autrement dit, la situation sécuritaire nous renvoie aux origines philosophiques de la légitimité de l’Etat.
Une condition d’existence pour l’Etat
Car, la sécurité est une question existentielle pour l’Etat. En retour, de la garantir à ses sujets; faute de quoi il perdrait sa légitimité. Elle apparaît ainsi à la fois comme la raison d’être de l’Etat et comme la condition de sa légitimité.
Cette conception puise ses sources philosophiques dans la pensée de Thomas Hobbes, théoricien de l’État moderne. En effet, pour lui « l’état de nature » est un état d’insécurité physique et matérielle généralisée, un état de « guerre (permanente) de tous contre tous ». Un état d’insécurité habité par la peur et l’instinct de survie. Or les hommes ont un besoin naturel de sécurité, qui justifie d’entrer dans un « état de société » fondé sur un contrat social noué entre les individus eux-mêmes. Et ce, au profit d’un État auquel ils acceptent de se soumettre (devoir d’obéissance) contre la garantie de la sûreté.
Ainsi, cette idée que la sécurité est la fonction première de l’Etat, en tant que condition d’exercice de la vie en société se trouve concrétisée dans le droit de chaque Etat. C’est pourquoi l’État jouit d’une capacité à faire valoir sa volonté et détient le monopole de la violence légitime (M. Weber).
Consubstantielle à l’Etat, la sécurité apparaît comme une compétence régalienne. C’est l’approche défendue par Jean Bodin: elle participe des « vraies marques de la souveraineté, identifiées dans la République ».
Si la sécurité est la mission première et fondamentale de l’Etat; un Etat dans lequel elle ne serait plus assurée n’est plus un Etat. Là encore, le retour à Hobbes est instructif: un Etat qui ne serait plus capable d’assurer la sécurité de ses citoyens ne serait plus légitime. Cette idée justifie l’existence des pouvoirs de crise et de l’état d’exception ou d’urgence.
Un droit des citoyens
L’État a le devoir d’assurer la sécurité de ses citoyens. Celui-ci nourrit l’aspiration légitime à la sécurité dans un contexte de menace terroriste. Mais peut-on parler d’un « droit à la sécurité »?
La réponse dépend de chaque système juridique national, même si la tendance globale tend à une réponse positive. La sécurité des personnes et des biens est la première des composantes de l’ordre public. Au sens des droits fondamentaux et des droits de l’Homme, on peut bien parler d’un droit à la sécurité dans le prolongement du droit à la sûreté. Mais, ce droit n’a de force juridique qu’en tant qu’il protège les citoyens contre les atteintes de l’État et impose aux pouvoirs publics de garantir leur sécurité (P. Jourdain).
Le débat sur l’existence d’un droit fondamental à la sécurité ne relève pas du simple débat juridique. Il fait écho à la montée d’un discours plaçant la sécurité au cœur du débat politique, suscitant lui-même la montée d’une demande de sécurité dans la société. Le slogan suivant lequel « la sécurité est la première des libertés » s’inscrit dans la lignée d’une philosophie et d’un discours sécuritaire qui s’est diffusé dans le débat public.
Un discours dominant
Un slogan et un discours devenus transpartisans et dominants, qui participent au glissement de l’impératif de sécurité à l’esprit sécuritaire qui anime l’évolution de la dialectique « Liberté/sécurité ». Et ce, dans notre propre Etat de droit, comme l’atteste la mise en place de dispositifs qui entravent l’exercice de la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir, au nom de la sécurité.
L’objectif des terroristes est de saper le moral des Tunisiens et leur confiance dans leur propre Etat. Répondre à ce défi suppose des résultats en matière de lutte contre l’insécurité. Mais aussi sur le front de l’amélioration de la condition économique et sociale des plus défavorisés (en particulier dans les régions de l’intérieur et dans les banlieues populaires de Tunis).