Ghassen Nouira, un passionné d’histoire, a réussi le pari de ressusciter la pourpre Royale, une teinture vieille de plus de 4000 ans, et magnifiée par les phéniciens et les Carthaginois.
Après 14 ans de recherches, Ghassen, directeur d’opérations dans une société d’étude de marchés, a pu décoder « le secret » de ce pigment extrait à partir de certaines variétés d’escargots de mer de la famille des Muricidae (Murex). Il est désormais le seul au monde arabe à maîtriser la recette de cette teinture.
Dans une interview accordée à l’agence TAP dans son modeste atelier, situé dans la banlieue Sud de Tunis, l’artiste précise qu’il existe, aujourd’hui, un cercle très restreint d’artisans qui utilisent ce procédé.
« Je connais déjà une artiste franco-allemande qui utilise la teinture extraite du murex pour peindre ses tableaux et il y a un ou deux Japonais qui l’ont déjà expérimenté », rétorque l’artiste avec un sourire en coin.
Et de rappeler que dans l’antiquité, cette teinture rarissime était le symbole du pouvoir et de la noblesse, appliquée sur la laine ou la soie, mais était aussi utilisée pour la peinture.
Une histoire de l’antiquité riche en couleurs : rouge, indigo, violet et rouge violacé
La pourpre royale, était le symbole ultime de la richesse et du pouvoir, parce que c’est une couleur rare extrêmement difficile à extraire tant par le nombre important de murex qu’il fallait collecter pour obtenir une petite quantité de teinture, mais aussi la complexité de son extraction.
Cette pourpre qui valait entre 10 à 15 fois plus cher que l’or, était un luxe réservé et accessible aux nobles et aux riches.
A priori, c’est les phéniciens qui l’ont découvert pour la première fois notamment à Tyr (Sud du Liban), Carthage fut aussi l’un des sites les plus importants de production de la pourpre ainsi que Kerkouane et Meninx à Djerba. Au fil des temps, cette teinture est devenue une véritable industrie qui produisait les matières premières servant au tissage.
Depuis plus de 600 ans, la production a cessé, laissant place à la production de teintures moins chères à partir de champignon pour obtenir des couleurs plus au moins semblables, mais moins intenses que celles extraites du murex.
Le hasard a joué son rôle dans l’histoire de la pourpre royale
Nostalgique, Ghassen raconte son histoire avec cette teinture. « J’ai découvert la pourpre par pure hasard à l’âge de 14 ans dans un chapitre de cours d’histoire qui parle de l’économie des phéniciens et des carthaginois et les produis qu’ils fabriquaient et commercialisaient ».
« Les propos de notre enseignante qui évoquait le nom de la pourpre, la couleur emblématique des phéniciens et des carthaginois, m’ont tout de suite interpellé, mais je me suis dit que c’était impossible de produire quelque chose d’aussi précieux à partir des Murex !!!, mais encore une fois, le hasard a joué son rôle ».
« Un jour en 2007, alors que je me baladais sur la plage de Carthage, j’ai aperçu un murex sur la plage dont la coquille était teinte d’une couleur rouge violacé très intense »
« Cette découverte m’a fait revenir des années en arrière et je me suis dit que ça ne pouvait être que cette fameuse pourpre dont l’enseignante nous avait parlé ». Pour l’artiste, cette journée a marqué le début d’un long parcours, au cours duquel il s’est penché sur l’étude de ces mollusques gastéropodes et a contacté des pêcheurs locaux pour se lancer enfin dans la pratique ».
Poursuivant son récit, Ghassen se souvient de sa première expérience. « J’ai passé des heures à concasser des murex sans rien obtenir. J’ai tout remis dans un sac pour le jeter, mais le lendemain je ne sais pas pourquoi, mais j’ai ouvert le sac et j’ai découvert une couleur violet ».
« Il m’a fallu deux ans pour produire le premier pigment qui était à l’époque (2009) de très mauvaise qualité », souligne encore Ghassen.
Un procédé complexe considéré comme un « secret d’Etat »
Historiquement, les phéniciens puis les carthaginois ont utilisé trois espèces de murex pour obtenir la coloration, mais le secret résidait dans les combinaisons entre les trois espèces utilisées, pour obtenir les couleurs les plus prisées et les plus précieuses, soit la pourpre rouge, l’indigo, le violet et le rouge violacé, confie l’artiste.
Et de poursuivre « Pour extraire la couleur, il fallait casser la coquille à un certain niveau pour sortir une glande appelée glande hypo- branchiale qui contient une ou deux petites gouttes de précurseurs de la pourpre ».
Ce liquide transparent au départ, commence à s’oxyder, lorsqu’on l’expose au soleil et à l’air, il vire au jaune, puis au vert, au bleu, il peut s’arrêter au bleu, ou alors évoluer au mauve ou au violet qui tire un petit peu vers le rouge, selon l’espèce.
Ces glandes on peut soit les sécher dans du sel et puis les broyer et les utiliser dans la teinture ou bien alors les traiter alors qu’elles sont encore fraîches.
« C’est l’étape la plus compliquée de tout le procédé pour extraire un pigment plus au moins pur qu’on peut utiliser par la suite pour teindre la soie ou la laine », explique Ghassen, sans toutefois entrer dans les détails de son procédé pour ne pas révéler sa recette mystérieuse.
Il a, dans ce cadre, expliqué que pour extraire le pigment, il passe par une douzaine d’étapes. « Je casse la coquille, j’extrais la glande, la traite puis je fermente le pigment dans un bain de teinture pour le dissoudre encore une fois d’une manière bien spécifique car c’est une teinture très sensible à l’air et à la lumière ».
Pour obtenir un ou deux grammes de teinture pure, on peut avoir besoin de 80 kilogrammes d’escargots ce qui n’est pas toujours évident et ça nécessite au moins deux semaines de traitement, a-t-il encore fait savoir.
Un petit laboratoire modeste, des outils simples, mais beaucoup de passion
Rencontré dans son laboratoire, une petite cuisine modeste au fond de son jardin, Ghassen montre fièrement ses outils phares, un mortier en granite, un marteau et une pincette. Il explique que le procédé très complexe d’extraction du pigment, ne peut pas être mécanisé, car le produit est très sensible.
« La fabrication industrielle de la pourpre coûte énormément d’argent et impacte l’environnement car on ne peut pas se permettre de faire sacrifier toute la population d’escargots pour ça », souligne-t-il. Et d’ajouter que le produit reste difficilement commercialisable, car son prix sur le marché international atteint 4000 dollars/ le gramme.
Rien ne se perd, tout s’utilise
Les Murex sont exploités à 100%, souligne l’artiste, ajoutant que son activité ne constitue pas une menace pour cette espèce.
« Les escargots s’accrochent naturellement dans les filets des pêcheurs qui les reprennent pour les consommer eux-mêmes ou les vendre aux restaurants », a-t-il expliqué. « Moi-même j’en achète auprès de ces pêcheurs 20, 30 ou 40 kilogrammes pour les traiter et produire la pourpre, mais je fais en sorte de rien gaspiller ».
Avant de cuire les escargots pour manger la chair, j’extrais la glande pour ne pas perdre la teinture, les coquilles sont très riches en calcium, je les reprends toutes pour les cuire dans un four de poterie à 1000 degrés et obtenir ainsi la chaux que j’utilise pour réparer les petites fissures dans les murs de ma maison ou dans la teinture.
Ghassen nous dévoile, également, que les intestins des murex peuvent être transformés en sauce de poissons et les opercules peuvent aussi être traités et utilisés comme fixateur d’odeur d’encens ».
La Pourpre, des perspectives prometteuses
Pour cet artiste, la pourpre peut constituer une perspective prometteuse pour le secteur touristique. « Les autorités compétentes peuvent organiser des séances de démonstration, des ateliers et même des shows qui attireront surement beaucoup de gens », estime-t-il.
Il a, dans ce cadre, rappelé que le musée de Beyrouth au Liban consacre une petite vitrine dédiée à l’ingénieur libanais Joseph Doumet qui a fait des expériences sur la pourpre, à la fin des années 70, début des années 80 et a écrit un livre sur le sujet.
« Il ne faut pas oublier que le Liban est le pays de la pourpre par excellence, mais malheureusement, aujourd’hui, le Murex a pratiquement disparu de ce pays à cause de la pollution et la guerre », a déploré Ghassen.
Et d’ajouter que les produits exposés actuellement dans le monde utilisent des procédés synthétiques, « juste pour montrer aux gens à quoi ressemble ces couleurs sublimes ».
« Dans notre pays, la pourpre n’est pas exposée dans les musées », rappelle l’artiste, exprimant sa volonté de participer à un projet culturel dans ce sens et fournir à des musées tunisiens des glandes, des pigments et même des tissus teints avec cette fascinante couleur phare de Carthage.
« Des Norvégiens, des Autrichiens, des Américains et des Français, ont déjà visité mon modeste atelier », indique Ghassen, estimant qu’une bonne collaboration avec des responsables du secteur culturel et une bonne médiatisation, permettrait de créer de véritables débouchés pour ce produit ».
« A ce jour, je n’ai pas trouvé d’échos favorables ou quelque chose qui m’encourage à aller dans ce sens, mais je reste toujours optimiste ».
« D’ailleurs, j’ai entamé les procédures pour avoir le brevet pour mes travaux de recherches de 14 ans auprès de l ‘Institut National de la Normalisation et de la Propriété Industrielle (INNORPI) », affirme Ghassen, précisant qu’il possède actuellement une collection de 60 couleurs différentes qui peuvent donner des centaines de nuances.
Il y a quelque temps, il a commencé à fabriquer des kits de teinture, de petites boîtes en bois contenant de la poudre de colorant, des échantillons de tissu, des coquilles de murex et des glandes avec l’indication « Pourpre de Carthage » imprimée sur le couvercle même en caractères Carthaginois anciens.
« Ces boîtes racontent l’histoire de la pourpre dans un seul kit, je les vends à petit prix aux personnes qui organisent des séminaires ou des recherches sur le produit, pour couvrir mes dépenses de recherche et de production », a-t-il conclu.
TAP