Dialogue social dites-vous ? Mais de quel dialogue parle-t-on quand la centrale ouvrière – l’UGTT – mène le jeu et triomphe à tous les coups de ses partenaires sociaux. Elle impose ses règles, son agenda, ses exigences, au mépris le plus souvent de tout principe de réalité économique. Au nom de la défense de l’intérêt général, elle met en péril la pérennité d’entreprises publiques libérées désormais de toute obligation de résultat ; elle plombe par des revendications salariales excessives, notamment dans la fonction publique, le budget de l’État qui, il faut bien l’avouer, n’a pas besoin de complice pour orchestrer sa propre faillite.
L’UGTT n’est pas un syndicat ouvrier comme les autres. Son passé militant et son histoire écrite en lettres de feu et de sang contre l’emprise coloniale en font un acteur majeur de la scène sociale et politique. Ce que l’UGTT n’a jamais manqué de rappeler pour justifier et appuyer son intrusion dans le jeu très trouble des politiques.
On la soutiendrait volontiers, à cette nuance près qu’elle doit elle-même tracer les limites de ses propres lignes d’influence. Cette posture et le rôle qu’elle s’arroge devraient la conduire à davantage de retenue et de modération pour ne pas tomber dans les travers de l’histoire qui signeront sa propre déchéance.
L’UGTT doit s’adapter, évoluer, changer, repenser sa vision de l’action syndicale qui n’est plus ce qu’elle était au siècle dernier. Le monde a depuis énormément évolué. Elle ne peut pas, au nom de son engagement et son sacrifice passés, justifier sinon revendiquer d’innombrables sorties de route aux effets dévastateurs sur l’avenir des entreprises qui doit être au cœur du dialogue social.
À quoi servirait cette instance de régulation sociale si les héritiers de Hached prennent en otage le pays sans d’autres voies de recours que le rapport de force et la paralysie de l’activité face à l’impuissance voulue ou imposée de ses partenaires. Que n’est-elle intervenue pour mettre un terme à la déconfiture et à la lente agonie du secteur phosphatier et bientôt de l’activité pétrolière ? Elle en avait les moyens et la force morale.
L’UTICA, l’organisation patronale, l’autre maillon de ce dialogue social, ne se prive pas de donner de la voix sans qu’elle ait l’assurance d’être entendue. Elle rechigne à sortir le chéquier, mais elle finit par s’y résoudre au risque de déstabiliser le bas et le haut du bilan.
Paix sociale : à quel prix ?
Ultime partenaire social, le gouvernement ne déroge pas à la norme. À l’instar de ceux qui l’ont précédé, il cherche auprès de l’UGTT les soutiens et les appuis qu’il ne trouve pas, ou dont il se méfie, chez les partis politiques qui se disent proches de lui. Au point de se laisser dicter sa propre conduite en se laissant imposer les desiderata sinon les exigences de la centrale ouvrière. Le prix de la survie politique a un coût économique et au final social exorbitant. La paix sociale ne s’achète pas, elle se construit.
N’est-ce pas abdiquer et se laisser engager dans un périlleux processus de fuite en avant que de se résigner à des recrutements et des augmentations de salaires dans la fonction publique déjà encombrée jusqu’à saturation dont on sait qu’ils sont insoutenables ?
La quasi-paralysie de l’activité pétrolière et les arrêts récurrents de la filière de phosphate qui ont stérilisé près des 2/3 de ses capacités relèvent d’une responsabilité partagée : UGTT / État. Ils n’avaient rien d’autres à offrir que des emplois fictifs et des salaires élevés sans aucune contrepartie productive.
Résultat des courses : grandeur et décadence. Bientôt, la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG), le Groupe Chimique tunisien (GCT) et – qui l’aurait cru – l’ETAP, figures emblématiques depuis des lustres, sont quasiment en défaut et ne sont pas loin du dépôt de bilan.
Le pays fêtera avec panache, toute honte bue, le 10ème anniversaire de la révolution, avec l’annonce du premier contingent d’importation de phosphate algérien.
L’activité pétrolière est logée à la même enseigne. Elle est à l’arrêt. Et les compagnies se préparent au départ. La cause en est que des mains moins tremblantes que celles de l’État ont fermé les vannes de transit du pétrole et du gaz.
Les révoltés du Kamour, dans la région de Tataouine, exigent du gouvernement qu’il honore les engagements de Youssef Chahed dont on n’a pas fini de faire l’inventaire des casseroles qu’il a léguées à ses successeurs. On se rappelle des discussions tripartites d’alors chapeautées par l’UGTT qui s’en glorifiait.
Plus proche de nous, l’UGTT a profité des « sorties » du Président de la République pour monnayer son soutien au nouveau Chef du gouvernement à peine installé. Sa direction s’est empressée, pour des considérations tout aussi électoralistes qu’humaines, de contraindre le gouvernement à régulariser la situation des 70.000 ouvriers de chantier sans se soucier de l’impact financier sur le budget de l’État qui a des fins de mois de trois semaines. Il n’a pas échappé place Mohamed Ali que le gouvernement peine à verser les salaires et les retraites de la fonction publique. Si ce n’est pas du patriotisme, cela lui ressemble.