Moyennant quelques amendements, les mesures fiscales prévues dans le projet de Loi de Finances pour l’année 2021 sont satisfaisantes. Toutefois, il faudrait proposer de nouvelles mesures pour plus d’équité fiscale et plus de soutien au tissu économique, c’est ce qu’estime Fayçal Derbel, Expert-comptable, Rapporteur de la commission des finances, de la planification et du développement à l’ARP, dans cette interview accordée à L’Economiste Maghrébin.
Dans quel contexte les projets de Loi de Finances (PLF) complémentaire de l’année 2020 et de la Loi de Finances de l’année 2021 ont-ils été élaborés ?
Fayçal Derbel : Les deux projets ont été préparés dans des contextes totalement différents. Le PLF complémentaire 2021 a été préparé pour prendre en compte la nouvelle conjoncture économique différente de celle retenue pour la préparation du budget initial de 2020. A ce moment-là, personne ne pouvait deviner qu’une pandémie planétaire, apparue dès la première semaine de l’année 2020, aurait des retombées économiques et sociales cataclysmiques, au niveau mondial, et indubitablement au niveau national.
Il en est découlé une baisse considérable des ressources propres et une augmentation titanesque des dépenses, entraînant un besoin de financement additionnel et non couvert pour plus de dix milliards de dinars. Il faudrait alors ajuster toutes les rubriques du budget et trouver les moyens pour la couverture de ce besoin de financement additionnel.
Pour ce faire, il a été jugé « opportun » de recourir à l’endettement intérieur (10 milliards de dinars) en dehors de toute autre solution de compression des dépenses ou de mobilisation d’autres ressources propres. Le contexte de préparation de la LF 2021 se base, par contre, sur une perspective de rétablissement de la situation économique avec comme hypothèse une croissance de 4%, un déficit budgétaire baissant de moitié (7%), et une reprise des échanges commerciaux.
Toujours est-il que le recours à l’endettement demeure encore la pierre d’achoppement à l’assainissement de nos finances publiques. Ce qui est encore plus préoccupant, car périlleux, c’est le recours aux emprunts extérieurs pour plus de 15 milliards de dinars. Pour finir, je dirais que les contextes des deux projets sont différents mais le dénouement est le même. C’est le report à plus tard des embarras financiers et économiques qui pourraient dégénérer en un véritable cataclysme.
Quelle est la démarche suivie par la commission des finances de la planification et du développement, dont vous êtes le rapporteur, pour l’examen des projets de loi qui lui ont été soumis ?
Il convient, tout d’abord, de préciser que la composition de la commission a été annoncée lors de la plénière du 20 octobre (formalité prévue par l’article 66 du règlement intérieur de l’ARP). Le même jour, cette commission a pris ses fonctions. Quant à la démarche, quoique non encore arrêtée (à la date de cette interview), et par référence aux expériences des années passées, je pense qu’il y a lieu de distinguer le PLF complémentaire du PLF 2021. Le premier ne porte que sur des dispositions budgétaires et la date limite de son adoption par le parlement est fixée à 21 jours à compter de la date de sa transmission par le chef du gouvernement (mercredi 14 octobre 2020).
La priorité d’examen sera alors accordée à la Loi de Finances complémentaire, avec bien évidemment, des entrevues avec le ministre de l’Economie, des Finances et du Soutien à l’Investissement et des membres de son équipe.
Quant au projet de Loi de Finances 2021, dont la date limite d’adoption est le 10 décembre, et comportant des mesures fiscales en plus des dispositions budgétaires, il sera examiné dans tous ses détails à travers des réunions avec les responsables des ministères concernés, ainsi qu’à travers des auditions des organisations et associations professionnelles (UTICA, UGTT, UTAA…), des ordres professionnels, des thinktank, des représentants de la société civile…
Des amendements, des ajouts, et le cas échéant, des suppressions aussi bien au niveau du budget qu’au niveau des mesures fiscales peuvent toujours avoir lieu, le plus souvent en concertation avec les ministères concernés.
Également, la commission aura la charge de centraliser les propositions de mesures formulées par les députés conformément aux dispositions de l’article 121 du règlement intérieur. Le travail de la commission se poursuivra de manière continue (approbation des mesures, modifications, ajouts…) jusqu’à l’approbation définitive par la plénière de l’ARP.
Comment jugez-vous l’actualisation du budget de 2020 ? Peut-elle répondre aux impératifs d’une saine gestion des finances publiques ?
L’actualisation du budget de 2020 a débouché sur un déficit budgétaire de 13,4%, un endettement de l’année de 21.549 MDT (en augmentation de 10.301 MDT) et un taux d’endettement passant de 71,5% en 2019 à 90%.
Pour répondre exactement à la question, je dirais que la gestion des finances publiques pourrait être qualifiée de saine, mais ces finances publiques ne le sont pas du tout. Avec de tels indicateurs, nous ne pouvons que prédire de grandes difficultés menaçant la soutenabilité de la dette et la solvabilité de l’Etat. D’autres solutions auraient dû être recherchées pour atténuer, autant que faire se peut, le recours à l’endettement additionnel et consolider davantage les ressources propres.
Autre critique que nous pouvons faire à ce projet de loi de finances (et non des moindres) est la présentation de chiffres globaux pour les indicateurs précités et plus particulièrement pour le déficit budgétaire.
Même si la loi organique du budget n’a rien prévu à ce sujet, par souci de transparence et de pertinence de l’information, il aurait été souhaitable de préciser séparément la détérioration budgétaire causée par la Covid-19, de celle due à la fermeture des vannes, les arrêts de la production et autres agissements irresponsables, ainsi que celle résultant du règlement des dettes antérieures qui n’étaient ni constatées ni même signalées et qui constituent, par assimilation aux dispositions de la norme comptable numéro 11, « une correction d’erreur fondamentale ».
Dans sa dimension budgétaire, le PLF 2021 répond-il aux priorités du gouvernement notamment en matière d’arrêt de l’hémorragie des finances publiques et de rationalisation des dépenses ?
Lors de la plénière pour le vote de confiance du 1er septembre 2020, le chef du gouvernement a présenté les grandes lignes du programme du gouvernement axé sur cinq priorités, dont l’arrêt de l’hémorragie des finances publiques et la rationalisation des dépenses.
De prime abord, force est de signaler un lien de causalité entre les deux objectifs, l’hémorragie des finances publiques ne peut être arrêtée qu’en rationalisant les dépenses.
Or, pour 2021, nous relevons que, loin d’être rationalisées, les dépenses de fonctionnement (charges financières incluses) arrêtées à 34 milliards de dinars, représentent les deux tiers du budget et 28% du PIB. Autrement dit, plus du quart de la richesse créée, tous secteurs confondus (public et privé), est « consommé » pour la couverture des dépenses de fonctionnement de l’Etat.
Peut-on alors considérer qu’il y a rationalisation des dépenses ? A cela, il convient d’ajouter que les rémunérations publiques représentent plus de 17% du PIB ! Peut-on alors parler d’un arrêt de l’hémorragie des finances publiques ? En toute logique, la réponse ne peut être que par la négation.
Comment jugez-vous les mesures fiscales prévues par le PLF 2021 ? Proposez-vous des ajouts ou des amendements ?
Globalement, les mesures fiscales prévues par la Loi de finances sont satisfaisantes, moyennant quelques amendements qui devraient être apportés à certaines d’entre-elles. Tout d’abord, il convient de préciser qu’il est inutile de reprendre des mesures proposées dans les lois précédentes et qui n’ont pas été votées soit au niveau de la commission, soit lors de la plénière. Cette reprise est source de gaspillage de temps et d’énergie.
A signaler ensuite que certaines mesures comme la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, l’encouragement de l’épargne (longue) et l’institution d’un nouveau régime fiscal pour la micro-entreprise (en remplacement du régime forfaitaire) sont des mesures véritablement salutaires.
Une proposition concernant la baisse du taux de l’IS mérite d’être avancée. Elle consiste à garder le taux de 25% pour les activités de commerce de distribution (textile, ameublement, pièces de rechange, électro-ménager…) et d’imposer à 15% (et non 18%) les activités industrielles (le plus souvent potentiellement exportatrices) et de services. Il va sans dire que cette baisse du taux de l’IS ne sera effective et efficiente que lorsqu’elle est accompagnée d’une baisse consécutive des taux de la retenue à la source.
Enfin, certaines mesures méritent d’être modifiées, il s’agit des mesures portant sur les prix de transfert, les minimums d’impôt et les droits de consommation.
Il n’est, bien évidemment, pas exclu de proposer éventuellement de nouvelles mesures pour plus d’équité fiscale et plus de soutien du tissu économique.