L’année 2020 arrive à son terme. Une année folle, un monde en lambeaux, une précarité galopante, chez nous et ailleurs ainsi qu’un repli sur soi sanitaire mais également nationaliste. La Covid aura fait des ravages. Au plan sanitaire bien sûr. Plusieurs de nos proches et de nos concitoyens nous ont quitté et le compteur ne semble pas vouloir s’arrêter malgré tous les efforts de l’ensemble du personnel de santé, dévoué et engagé, qui a payé un lourd tribut à cette pandémie.
Les conséquences qui en résultent pour nous Tunisiens (comme quasiment partout dans le monde) aux plans psychologique, économique et social sont très lourdes. Mais c’est dans ces moments difficiles que nous devons trouver tous ensemble les ressorts qui pourront nous faire rebondir soudés et unis, à l’abri des corporatismes et des discours identitaires, régionaux ou partisans souvent mis à l’honneur ces derniers temps, contre tout ce qui peut cimenter un pays qui a tous les attributs de la réussite. Pour cela, le rôle de nos dirigeants politiques est essentiel et historique dans cette étape charnière.
Le démarrage récent des campagnes de vaccination en Europe, dans le monde, et nous l’espérons bientôt chez nous, pourrait nous permettre de voir dans les mois à venir le bout de ce long tunnel pandémique.
Sans verser dans un optimisme béat, ni dans un raisonnement simpliste, il me semble que malgré l’ampleur de la crise, il est possible de trouver les bons leviers qui pourraient permettre à notre pays de retrouver sa trajectoire naturelle (d’avant 2011) à partir de 2021: celle de l’excellence et de la croissance davantage inclusive, en tirant avantage de la volonté affichée de l’Europe de raccourcir les chaînes de valeurs industrielles que notre pays devrait pouvoir intégrer.
En 2021, j’appelle de tous mes vœux les Tunisiens à reprendre confiance en nos moyens, que nous remettions la valeur Travail au centre de nos priorités et que nous engagions les réformes urgentes essentielles au rebond.
Je souhaite à tous les Tunisiens une année 2021 durant laquelle nous commencerons à réduire nos déficits jumeaux (public et celui de la balance courante), en nous mettant à l’abri des fausses bonnes idées qui peuvent être à moyen terme source de précarisation généralisée.
Une réflexion de fond avec le concours de nos partenaires financiers pour la gestion de la dette publique devrait être engagée pour mieux lisser nos échéances, au cours de ces années de transition. La maîtrise de la masse salariale publique est essentielle pour que tout endettement soit orienté vers des projets structurants. Un large consensus devrait être trouvé pour la reprise sérieuse puis le développement de toutes les activités extractives.
Des solutions concrètes simples même imparfaites devraient commencer à être mises en œuvre pour la réforme de la caisse de compensation afin d’en limiter substantiellement le bénéfice aux populations cibles, la mise en place de réseaux de distribution spécifiques pour les produits subventionnés, marquage spécifique exigé, substitution des subventions à la pompe pour les hydrocarbures par des subventions directes plafonnées accordées aux véhicules de petites cylindrées et aux professionnels (la carte grise pourrait dans ce contexte jouer le rôle de porte-monnaie électronique).
Un plan de restructuration financier, actionnarial et managérial des entreprises publiques devrait être engagé sans délais. De même pour l’ensemble des caisses sociales et nos systèmes de santé et éducatif qui doivent être renforcés. En ce qui concerne les ressources, j’espère que l’État réussira à engager un vaste programme pour l’inclusion du plus grand nombre de nos concitoyens à acquitter leurs obligations fiscales.
Pour cela, pédagogie, simplification et digitalisation devraient être les maîtres-mots. Misons davantage sur les Totaux, et stabilisons nos Taux pour donner de la visibilité et de la prédictibilité aux porteurs de projets locaux et étrangers afin de les inciter à mettre en œuvre leurs investissements et à créer de la valeur et des emplois.
Et puis, arrêtons la spirale de la désindustrialisation de la Tunisie. Des mesures d’encouragement comme le développement de clusters intégrés et à l’encouragement à l’accès aux marchés publics devraient être mises en œuvre pour avantager en phase de démarrage l’industrie locale par rapport à l’importation, et privilégier dans nos appels d’offres les partenaires qui achètent nos produits ou concourent de manière concrète au développement de notre production locale et à son exportation.
Il est bien sûr impératif de développer les régions intérieures du pays, mais ceci n’est pas antinomique avec l’encouragement des investissements dans les régions côtières, ces dernières pouvant être des « locomotives horizontales » pour les régions intérieures plus défavorisées. Un découpage régional plus adapté ne devrait pas être tabou.
Je souhaite à tous les Tunisiens une année 2021 qui verra la mise en place d’un programme volontariste pour la sauvegarde des centaines voire milliers d’entreprises (et d’emplois) qui ont été touchés violemment par les conséquences de la Covid. Une dynamique comparable à celle induite il y a quelques années par le programme de mise à niveau devrait être lancée sans délais par les pouvoirs publics pour sauver nos entreprises viables sur le long terme, mais souffrant d’une situation conjoncturelle qui pourrait causer leur faillite. L’État devrait réduire sensiblement ses encours avec les entreprises qui sont à l’asphyxie par manque de liquidité.
La CDC, les banques avec le concours des grands bailleurs de fonds et autres intervenants en fonds propres pourraient apporter ensemble leur concours à une grande initiative de restructuration de ces entreprises prometteuses par des apports en fonds propres et un reprofilage de leur endettement afin de leur permettre de reprendre le cours normal de leur activité. Des initiatives encore plus ciblées devraient être mises en œuvre pour sauver les secteurs particulièrement sinistrés tels que le tourisme. Là aussi, la solution passe par des apports significatifs en fonds propres à travers des véhicules dédiés, avec ce que cela pourrait induire au niveau du contrôle de certaines entreprises financées et de leur gouvernance.
Activer les leviers de la croissance
Activer les leviers de la croissance passe aussi par la reprise du rythme des investissements nouveaux en libérant les énergies par la simplification voire la suppression des autorisations encore nécessaires dans des segments porteurs, l’accélération et l’encouragement de PPP dans plusieurs secteurs structurants tels que l’énergie, l’assainissement et le transport.
Il conviendrait de démultiplier également les solutions de financement de nos PMEs/ETIs à travers le renforcement des fonds propres de nos banques, l’encouragement au lancement de nouvelles équipes de Capital Investissement et la levée des obstacles résiduels au développement de la microfinance (notamment l’accès aux ressources). La mise en place de structures d’incubation et d’accompagnement d’une nouvelle génération d’entrepreneurs notamment dans les régions pourrait également contribuer au rebond de nos investissements.
Pour les IDEs et l’exportation, nous devons assouplir davantage notre réglementation de changes et impérativement trouver avec les partenaires sociaux les solutions à même de permettre à notre logistique notamment portuaire aujourd’hui défaillante de contribuer à la compétitivité de nos produits, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui, au contraire.
Le salut de notre commerce extérieur passe par là. Si nos ports arrivent à des standards régionaux voire internationaux en termes de productivité et qu’il y a davantage de stabilité, les opérateurs déjà en Tunisie pourraient investir encore plus chez nous et orienter davantage leur carnet de commande en direction de notre pays plutôt que vers d’autres destinations. Au-delà de cela, un plan ad hoc de relance de nos exportations auprès de nos premiers partenaires, l’Europe, mais aussi en direction d’autres pays prometteurs devraient être mis en œuvre tels que les pays Africains.
Lancer tous ces chantiers est tout à fait possible en 2021 dans le cadre d’un projet qui fédère l’ensemble des forces vives de notre pays. La plupart de ces initiatives ne sont pas budgétivores. Mais pour celles d’entre elles qui requièrent des moyens additionnels, le rêve pour plusieurs opérateurs économiques en Tunisie serait qu’il y ait une initiative Maghrébine conjointe (qui peut prendre ses sources dans le cadre de programmes concrets (comme pour l’Union européenne qui a démarré par ses pères fondateurs autour du programme Européen de Charbon et de l’Acier (CECA).
Nous n’avons que l’embarras du choix pour ces programmes comme par exemple un programme commun sur les énergies renouvelables, un programme sanitaire de réponse au Covid, voire même la mise en commun de certains programmes industriels pour faire du Sud de la Méditerranée la manufacture de l’Europe à travers de hubs régionaux spécialisés et complémentaires (et non concurrents) dans le cadre de la révolution en cours des chaînes d’approvisionnement mondiales et engager ensemble avec les grands bailleurs de fonds et notamment notre premier partenaire, l’Europe, la mise en œuvre d’un véritable plan de développement de notre région. Il est clair que nous n’avons jamais eu autant besoin d’un Maghreb économique intégré et opérant.
J’espère que 2021 verra l’arrêt de l’hémorragie démographique que vit notre pays. En plus d’être le pays le plus vieillissant d’Afrique, nous avons vu ces derrières années une fuite de cerveaux alarmante qui touche aujourd’hui à tous les secteurs. Je souhaite à tous les Tunisiens une année 2021 dans laquelle nous infléchirons ce brain drain en donnant une perspective meilleure à nos jeunes qui sont notre principale richesse et en donnant goût à ceux qui sont partis de revenir servir leur pays.
Bonne et heureuse année à tous !