Et maintenant ? Après que fut entériné le remaniement gouvernemental par l’ARP. En apparence, mais en apparence seulement, le chef du Gouvernement a désormais les coudées plus franches, dès lors qu’il vient de débarquer, sans surprise et sans détour, les ministres de son premier gouvernement estampillés Kais Saïed. Il a le champ libre pour asseoir son autorité et son leadership, imprégner l’action gouvernementale et éviter tout risque d’incohérence dans sa nouvelle équipe gouvernementale.
Ce qui ne signifie en rien que les ministres démis de leurs fonctions pouvaient se voir reprocher leur indiscipline ou leur incompétence. Le chef du Gouvernement leur a rendu suffisamment d’hommages pour les laver de tout soupçon de cette nature.
Onze nouveaux ministres et un gouvernement remanié à plus de 40%. Autant dire une nouvelle équipe pour un nouveau départ, comme si le premier n’était pas le bon ou qu’il était entaché d’erreur. Tous les ministres étaient sur la ligne de départ le 02 septembre 2020 pour succéder au gouvernement d’Elyes Fakhfakh.
Mais tous n’étaient pas assurés d’aller jusqu’au bout de leur mission et d’atteindre la ligne d’arrivée. C’était écrit dans les tractations et les conciliabules au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), devenue, au fil des ans, des volte-face et des trahisons, un haut lieu d’opportunisme partisan et de machiavélisme politique sans aucun titre de noblesse.
« Autant dire une nouvelle équipe pour un nouveau départ, comme si le premier n’était pas le bon ou qu’il était entaché d’erreur »
On le pressentait, le premier gouvernement Mechichi était à durée limitée, sans qu’on puisse imaginer qu’elle soit si courte, au point de ne pas passer l’hiver. Il n’est pas dit que le second relève d’un contrat longue durée : rien, en tout cas, ne le prouve, en raison de la volatilité et de la versatilité des majorités parlementaires, qui se forment et se défont au gré des intérêts du moment.
Il n’est pas exclu que les tentatives d’ingérence, d’interférence, de parasitage de la majorité arcboutée sur son propre agenda politique et ses propres intérêts partisans ne reprennent de plus belle. Hichem Mechichi doit s’employer, dans cet exercice d’équilibrisme à haut risque, avec beaucoup de détermination et une infinie maestria.
Il doit, s’il veut exister, afficher en permanence son autonomie et son indépendance, en se plaçant au-dessus des partis, y compris ceux-là mêmes qui ont fait campagne pour lui, davantage par crainte pour leur propre survie politique. Il ne doit pas craindre le vote de la peur. Hichem Mechichi ne devrait avoir d’allégeance que pour la patrie, la seule à lui conférer sa légitimité, en l’absence de tout mandat électif. Il n’est redevable, s’il veut rester droit dans ses bottes, qu’au peuple de Tunisie dont il mesure les attentes et les frustrations.
« Le premier gouvernement Mechichi était à durée limitée, sans qu’on puisse imaginer qu’elle soit si courte, au point de ne pas passer l’hiver »
Hichem Mechichi a besoin, pour réussir dans son entreprise, du soutien de tous les partis, si tant est qu’il sache les tenir à bonne distance, du Parlement, mais plus encore des principales roues du char de l’Etat que sont les acteurs économiques, sociaux et sociétaux : syndicats ouvriers et patronaux, corps constitués et société civile. Il doit surtout veiller à cohabiter en bonne intelligence avec le chef de l’Etat, qui l’a chargé de former le gouvernement.
S’il est vrai qu’il lui revient et lui appartient d’incarner, de par la Constitution, l’exécutif, il n’en reste pas moins que le Président de la République, dont on connaît la propension à s’indigner, n’hésitera pas, le cas échéant, à en user et abuser, au risque de décrédibiliser l’action gouvernementale.
Le feu s’est déjà déclaré dans la maison Tunisie pour ne pas s’aventurer en territoire présidentiel et prendre le risque de souffler sur les braises d’un second foyer d’incendie, qui mettrait l’ensemble du pays à feu et à sang. Le gouvernement Mechichi II est confronté aux pires difficultés que le pays n’ait jamais connues. Le temps et l’argent lui font défaut, comme à aucun moment par le passé.
Son seul espoir réside dans sa capacité à ne s’en remettre qu’à sa propre conscience et à se fier aux compétences et au volontarisme de ses ministres, notamment ceux et celles engagés sur le front économique, technologique, logistique, social et sociétal. Ils sont suffisamment armés et ont de larges attributs pour oser espérer sortir le pays de l’ornière, si rien ne vient entraver leur vision du nouveau monde qui arrive.
« Le feu s’est déjà déclaré dans la maison Tunisie pour ne pas s’aventurer en territoire présidentiel et prendre le risque de souffler sur les braises d’un second foyer d’incendie »
L’ultime chance du nouveau gouvernement, c’est qu’il compte dans ses rangs un équipage rompu à la navigation par tout temps, capable d’affronter la houle et les terrifiantes vagues des quarantièmes rugissants.
Mohamed Trabelsi, en charge du Social qui coule dans ses veines. Ali Kooli, à la barre de l’Economie, des Finances et du soutien à l’Investissement. Le revenant Ridha Ben Mosbah, au talent indéniable, à l’écoute du monde qui s’annonce, capable de redonner des couleurs à l’industrie et vie aux PME. Fadhel Kraiem, qui n’a pas fini de nous surprendre avec sa révolution numérique, à l’intelligence démultipliée par l’IA. Moez Chakchouk, imprégné de mobilité, capable de remettre la logistique et le transport sur les rails.
On peut en citer d’autres, en l’occurrence Chiheb Ben Ahmed à l’Environnement et aux Affaires locales, dont on apprécie le come-back. Et Olfa Ben Ouda, la ministre de l’Enseignement Supérieur qui ne saurait, à elle seule, malgré son talent, représenter toute la gent féminine, abusivement discriminée dans ce gouvernement.
Ces ministres, et j’en oublie, sont capables, s’ils sont soutenus par le premier d’entre eux, de conduire le changement et nous éviter le naufrage. Et laisser entrevoir une mince lueur d’espoir, la lumière en quelque sorte du bout du tunnel. Pour mettre fin à l’enchaînement des crises politique, sanitaire, économique, financière, sociale et morale qui a semé le doute, le désespoir et fait lever un vent de révolte.
Pour le gouvernement Mechichi II, le choix se limite à peu de choses : l’apaisement ou le chaos. Il faut un immense effort sur soi pour restaurer la confiance, dans l’espoir d’éviter le second scénario et de faire triompher le premier.
Hichem Mechichi sait ce qui l’attend et ce qu’il risque. Il n’a plus de fusible et est pleinement exposé. L’ennui, pour lui, est que le succès – si succès il y aurait – a plusieurs pères, mais l’échec est orphelin. Il devra l’assumer en entier, à lui tout seul