Un dialogue national demeure le cadre idoine pour relancer l’économie tunisienne pour engager les réformes. C’est ce qu’a plaidé Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale au Fonds Monétaire International (FMI).
Dans une interview à distance accordée à l’agence TAP, le responsable du FMI a souligné que «l e fonds demeure engagé auprès de la Tunisie, afin de l’accompagner dans ses réformes. En revanche, c’est aux Tunisiens et à eux seuls, de les conduire ». A la question de savoir si un nouveau programme de financement avec la Tunisie se profile à l’horizon, Azour a répondu que l’institution financière n’a reçu jusqu’à ce jour aucune demande officielle du gouvernement. Néanmoins, le fonds reste « aux côtés de la Tunisie, pour l’aider à renforcer sa stabilité économique » a-t-il affirmé.
En ces temps de pandémie, quel a été le soutien apporté par le FMI aux économies des pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) ?
Le fonds a rapidement réagi quand il s’est agi de venir en aide aux pays de la région MENA. Particulièrement, à ceux qui ont eu besoin de liquidité financière pour parer aux besoins sanitaires et sociaux liés à la lutte contre la Covid-19. Ainsi, nous avons accordé plus de 17 milliards de dollars à 15 pays de la région MENA. Ce qui représente une hausse de plus de 60% de notre portefeuille de financement consacré à la région. Il s’agit là d’une aide rapide et sans conditions, destinée exclusivement à limiter la propagation du virus.
Nous avons, par ailleurs, procédé à l’ajustement des programmes de financement dans certains pays, à l’instar de la Jordanie, afin de lui permettre d’avoir plus de flexibilité en matière de dépenses sociales; et d’être en mesure de faire face à la pandémie. Pour ce qui est de l’Egypte, nous lui avons fourni un programme complémentaire de 5,2 milliards de dollars. Et ce, afin de renforcer sa crédibilité au niveau des marchés financiers internationaux, en plus d’une assistance rapide pour la lutte contre la pandémie.
Qu’en est-il de la Tunisie ? Le Fonds va-t-il contribuer au financement de la campagne de vaccination anti-Covid-19?
Durant ces dix dernières années, le fonds s’est tenu aux côtés de la Tunisie, dans les étapes les plus importantes. La dernière en date était celle de la crise sanitaire. Dès l’apparition de la Covid-19, le fonds a fourni à la Tunisie un appui de 750 millions de dollars, sans conditions. Et ce, afin de répondre aux besoins urgents de financement du budget et de la balance des paiements. Cela fait de la Tunisie le premier pays du monde à avoir reçu une aide équivalente à sa quote-part (la quote-part d’un pays membre détermine le montant maximum de ressources financières qu’il s’engage à fournir au FMI ainsi que le montant de l’aide financière qu’il peut obtenir du fonds).
La préservation des vies humaines reste l’ultime priorité. C’est ce qui ressort, d’ailleurs, de la mission menée, à distance, il y a quelques semaines, en Tunisie, par les services du fonds. Il faut faire en sorte que le vaccin soit fourni le plus rapidement possible. Ce que nous pouvons faire dans ce sens c’est accorder à la Tunisie la possibilité d’ajuster son programme de financement. Et ce, afin de renforcer ses dépenses publiques liées à la santé, comme c’était le cas pour la Jordanie. Cela lui permettra de se procurer les vaccins.
A l’issue de leur mission, les services du FMI ont recommandé de prioriser les dépenses de protection sociale. Et ce tout en contrôlant le transfert aux entreprises publiques. Faute de quoi le pays pourrait accuser un déficit budgétaire de plus de 9% du PIB.
Outre la lutte contre la pandémie de la Covid-19, nos services ont insisté sur l’importance de prioriser les dépenses liées à la protection sociale. Elles sont relativement faibles en Tunisie, dans la mesure où elles ne représentent que 2,5 points du PIB. Or, ces dépenses sont cruciales pour assurer la cohésion sociale. Et cela a même été démontré dans le cadre d’une étude élaborée récemment par le FMI.
Le renforcement des dépenses sociales permet également, de générer de la croissance. Laquelle a connu une baisse historique dans le pays. Depuis l’indépendance, la Tunisie n’a pas connu une croissance négative, comme celle enregistrée en 2020. Il est impératif de relancer aujourd’hui l’économie tunisienne. Cela implique nécessairement certaines réformes comme la réhabilitation des entreprises publiques. Les entreprises publiques doivent être plus dynamiques et plus efficaces. Et ce, afin d’être en mesure d’augmenter la productivité. La relance de l’économie et la mise en œuvre des réformes doivent se faire à travers un dialogue national. C’est-à-dire une sorte de contrat social qui va lier toutes les forces vives de la nation (UGTT, UTICA, société civile, jeunes, économistes…).
Le plan de relance économique issu de ce dialogue devra être approuvé par la majorité des acteurs. Certes, cela va nécessiter des efforts. Mais cela contribuera, néanmoins, à déclencher une nouvelle relance qui permettra à la Tunisie, dans les dix années à venir, de renforcer sa position dans la région, de créer des emplois et de passer d’une situation de rente, à une situation de croissance et d’opportunités.
Le ministre tunisien de l’Economie et des Finances avait déclaré, récemment, que le gouvernement espère parvenir à un accord avec le FMI, sur un nouveau programme de financement. Qu’en pensez-vous ?
Nous venons de finaliser les consultations de l’article IV avec la Tunisie, il y a quelques semaines. Et nous sommes dans un dialogue constant avec les autorités. Mais pour l’instant, nous n’avons reçu aucune demande officielle pour établir un nouveau programme de financement. Cela dit, le fonds restera aux côtés de la Tunisie afin de l’aider à renforcer sa stabilité économique et à améliorer sa croissance.
Un dernier message aux Tunisiens ?
Le FMI a toujours souffert de cette image de « donneur de leçons ». C’est une image exagérée et déformée. Je ne me permets pas de donner des leçons à qui que ce soit. Il est vrai que parfois, nous sommes les seuls à dire les choses comme elles sont. Car malheureusement, la nécessité l’exige. Le Fonds demeure engagé auprès de la Tunisie afin de l’accompagner dans ses réformes. Mais c’est aux Tunisiens, et à eux seuls, de les conduire. La Tunisie est capable de faire un bond en avant, grâce à sa jeunesse bien éduquée et ouverte sur le monde. C’est là où l’investissement doit se faire. Il faut leur élargir les champs du possible et leur donner les moyens nécessaires de réaliser leurs projets.
Le chômage a encore gagné du terrain cette année en Tunisie, et dépassera les 17%. C’est un taux très important et c’est la raison pour laquelle, il faut créer de l’emploi pour les jeunes. C’est bien le secteur privé qui va le créer. Les jeunes et les femmes sont, pour moi, les deux espoirs de la Tunisie. Par conséquent, il est indispensable de renforcer leur inclusion sociale, financière et numérique. Cette crise aura montré que la Nouvelle économie va être plus numérisée, ce qui est de nature à creuser davantage les disparités socio-économiques, chez ces deux catégories. Nous devons donc travailler, dès maintenant, afin de réduire ces disparités, à travers un plan de relance économique qui tienne compte davantage des technologies de l’information et de la communication.
Interview réalisée par l’Agence TAP