Ennahdha, son chef et ses cadres ne devraient pas être contents dimanche 14 mars entre midi et 13 heures. Ils ont dû être secoués par les révélations sur les crimes islamistes du temps de Bourguiba et de Ben Ali; tels que dévoilés dans l’émission de Chaker Besbes sur Shems FM par Karim Abdessalem, le « cerveau » de l’attentat de Bab Souika de 1991.
Nous ne savons pas pour quelle raison Karim Abdessalem a décidé de sortir de l’anonymat et de son silence. Et d’accabler l’organisation qui l’a endoctriné il y a plus d’un tiers de siècle et fait de lui un terroriste. Peut-être en saurons-nous un peu plus au cours de la seconde partie de l’interview prévue dimanche 21 mars. Le Mouvement Ennahdha devrait ne pas apprécier.
En fait, tout ce qu’a dit Karim Abdessalem dans la première partie de cette interview était plus une confirmation de ce qu’on savait déjà que des révélations de choses inconnues. On savait que l’appareil sécuritaire du Mouvement de la Tendance Islamique (MTI) avait infiltré l’armée et la police; que Sadok Chourou avait passé tous les barrages et réussi à se faire recruter comme « enseignant » à l’académie militaire; que l’aile militaire d’Ennahdha à l’instigation de son chef et de ses lieutenants à passer à l’action en vue d’assassiner Bourguiba et de prendre le pouvoir par la force le dimanche 8 novembre 1987…
Mais Karim Abdessalem nous a quand même donné quelques détails sur l’usage des cocktails Molotov et de l’acide sulfurique dans la confrontation des islamistes avec le régime de Ben Ali. Beaucoup se rappellent qu’après avoir juré que, pour lui, « Dieu est en haut et Ben Ali en bas », Ghannouchi a décidé de rompre avec celui d’ « en bas » et de lui déclarer la guerre.
Cette guerre, selon Karim Abdessalem, prenait la forme d’infiltrations de la foule à la sortie des bureaux par des éléments islamistes à Bab el Khadhra, le Passage et à l’Avenue de Paris. « Quelqu’un crie ‘Allahou Akbar’ et tous les infiltrés suivent pour faire croire que toute la foule manifeste avec nous ».
Selon lui, le « stratège » de cette utilisation de la foule de fonctionnaires et d’employés à son insu est Abdelhamid Jelassi. Il cite également trois noms de responsables ou membres actifs de l’aile militaire pendant les confrontations avec les régimes de Bourguiba et de Ben Ali: Moncef Ben Salem, Sadok Chourou et Sayyed Ferjani.
Malgré la très grande vigilance des régimes de Bourguiba et de Ben Ali, l’appareil sécuritaire de l’organisation de Rached Ghannouchi avait eu la capacité de les infiltrer et l’audace de les confronter. Pourquoi serait-on étonné aujourd’hui que ce même appareil sécuritaire d’Ennahdha réussisse à détourner une révolution de ses objectifs et parvienne à infiltrer tous les organismes vitaux et tous les services fondamentaux de l’Etat?
En revanche, nous serons toujours étonnés que les islamistes qui avaient choisi la confrontation avec les régimes de Bourguiba et de Ben Ali continuent de se présenter comme « les victimes d’une répression dictatoriale sauvage ». En d’autres termes, ils ont choisi la confrontation avec « la dictature », et comme celle-ci leur a résisté au lieu de se laisser renverser à coups de cocktails Molotov et de jets d’acide sulfurique, elle est donc coupable. Et ceux qui ont choisi la confrontation violente mais ont perdu, sont des victimes et doivent donc être indemnisés…
L’une des raisons fondamentales de l’état de faillite financière dans laquelle se trouve le pays est la mise en pratique de ce raisonnement absurde. Une mise en pratique qui a toutes les caractéristiques d’un hold-up gigantesque de l’argent public par des gens élus au départ… pour rédiger une Constitution.
Il faut savoir que l’énergie déployée depuis 2011 jusqu’à ce jour par Ghannouchi et ses lieutenants à la recherche de « consensus » et de « compromis » ne vise qu’une seule et même chose: trouver des partenaires qui acceptent de fermer les yeux sur toutes les affaires à caractère politique ou criminel auxquelles l’appareil sécuritaire est directement lié. Force est de constater qu’il a largement réussi puisqu’en dix ans, aucun gouvernement n’a osé ouvrir le moindre dossier.
Un jour, alors qu’il était président de la République et suite à une brouille avec Ennahdha, Béji Caïd Essebsi a dit: « Je veillerai à ce que l’assassinat de Chokri Belaïd ne reste pas impuni ». Naïvement, beaucoup y ont cru. Entre-temps, Béji a rejoint Chokri dans l’au-delà et les vrais assassins courent toujours.
Alors que l’appareil sécuritaire continue son travail de sape dans le pays, nous avons droit de temps à autre, en guise d’anesthésiant, à des voix discordantes qui mettent à l’index la pratique d’Ennahdha et de son vieux dirigeant. Pensons aux attitudes d’un Abdelhamid Jelassi ou d’un Samir Dilou. Mais un travail de sape de l’appareil sécuritaire allait-il être découvert? L’unité sacrée s’impose alors à tous.
A cet égard, l’affaire de l’école de Qaradhaoui est révélatrice. Le jour où il était devenu évident que Abir Moussi allait dévoiler, documents à l’appui, la vraie mission de cette école, tous ont investi la Rue Khaireddine Pacha pour protéger la pépinière d’islamistes radicaux. Noureddine Bhiri, le fidèle, et Abdelhamid Jelassi, le virulent critique, étaient là à faire front ensemble pour protéger une institution étrangère dangereuse pour le pays, ses lois et sa spécificité. Et le « démocrate » Samir Dilou, hystérique, s’en prenait violemment sur une chaine privée aux « crimes » commis par Abir Moussi contre la dite école.
Des « crimes » semblables dévoilant le travail de sape mené méthodiquement par l’appareil sécuritaire d’Ennahdha, voilà ce dont le pays a besoin.