Lorsqu’il arrive au pouvoir, en avril 1956, le premier président de la République, Habib Bourguiba, et avant même qu’il soit élu donc à la magistrature suprême, engage un train de réformes. Au niveau des droits des femmes, de la généralisation de l’éducation nationale et de la mise en place d’un système de santé publique. Et si nous n’avions pas su maintenir son legs?
Lorsque le premier président de la République, Habib Bourguiba, accède au pouvoir quelques jours après l’indépendance du pays, le 20 mars 1956, il a déjà un programme de gouvernement. La Tunisie vit en avril 1956 sous la monarchie des Husseinites, mais rien n’empêche le futur président de la République, qui a pratiquement tous les pouvoirs en mains, d’appliquer ce programme qu’il a bien mûri.
Des années de séjour, pour études, en France où il a compris le fonctionnement d’une société moderne influencé qu’il est par de nombreux philosophes. Et notamment par Auguste Compte et sa formule du « Vivre pour autrui » et des années de lecture. Mais aussi d’observation des sociétés arabo-musulmanes qui vivaient du temps de sa jeunesse une décadence. Il est alors décidé à changer la société tunisienne.
Les réformes ne tardent pas d’ailleurs à venir. Le 13 août 1956, il décide de promulguer le Code de statut personnel qui abolit la polygamie et la répudiation. Assurant ce qu’il estime être des fondamentaux de l’égalité entre l’homme et la femme, un des socles d’une société moderne.
Les écoles primaires fleurissent partout
Parallèlement à cela, Habib Bourguiba s’engage sur deux autres terrains qui feront sans doute de lui, comme pour les droits des femmes, un précurseur dans le monde arabe et musulman. A savoir: la généralisation de l’enseignement gratuit et la mise en place d’un système de santé publique.
Les écoles primaires et les dispensaires et autres hôpitaux fleurissent partout. Avec souvent des signes qui ne trompent pas et que des personnes qui ont vécu l’engagement des réformes n’oublient pas de sitôt. Comme ces repas servis au cours des pauses dans les écoles primaires pour les plus nécessiteux et les cours particuliers gratuits dispensés le dimanche. Ou encore ces pommades pour les yeux contre la conjonctivite et les cachets d’aspirine vendus pour presque rien dans les épiceries et chez les vendeurs de fruits secs.
Soixante-cinq ans après l’indépendance du pays, il serait sans doute bon de nous interroger sur notre vécu concernant ces réformes et bien d’autres. Et ce, au vu d’un certain fléchissement des réformes; pour ne pas dire un réel recul les concernant.
Prenons la liberté de la femme. Il est vrai que la femme tunisienne est souvent jalousée dans le monde arabe pour ses acquis. Mais ces droits ne sont-ils pas bien menacés par des courants politiques qui ont tenté de faire passer, en 2012, et au plus fort de la rédaction de la Constitution de 2014, au cours des travaux de la Constituante, la mention suivante: les femmes sont « complémentaires » de l’homme au lieu d’ « égales »? Et ces prédicateurs qui ont tenté, dans les années 2012 et 2013, du temps de la « Troïka », de donner une lecture sexiste de l’islam?
Trois phrases ou formule-chocs de Bourguiba
Quid de l’éducation avec ces enseignants habillés en « mode l’afghans » dans une école du Sahel tunisien? Images largement diffusées, en février 2021, par des reportages. Des écoles de la République, où on fait les prières en classe, et où les filles et les garçons sont séparés dans la cour? Quid également de cette école coranique découverte par une émission de télévision, en 2019, où des enfants sont « maltraités, abusés et affamés »? Une école « à la Taliban ».
La pandémie de Covid-19 a réveillé la Tunisie sur l’insuffisance d’un système de santé publique qui a fait plus d’une fois scandale. Dans un reportage publié en novembre 2021, nous produisions ce chiffre: la Tunisie a dépensé, en 2017, 143 dollars américains (environ 392 dinars) pour la santé de chaque citoyen. Une somme bien en-de-ça de la moyenne mondiale: 762 dollars (environ 2087dinars). Nous sommes loin du compte.
Sans doute en rapport avec ce vécu, trois phrases ou formule-chocs de Bourguiba peuvent nous renseigner aujourd’hui sur nous-mêmes. Mais si elles peuvent quelque part faire mal.
D’abord, le « démon numide », l’esprit de division et d’anarchie. « Une tendance, apparentée à un tempérament qui a jalonné l’histoire du Maghreb et qui mène à la querelle, à la discorde, à l’individualisme destructeur ». Ainsi s’exprimait notre confrère Abdelahmid Gmati, dans un article publié en 2016, dans les colonnes de notre confrère La Presse.
Ensuite, « Sobinne ou telheg ettine ». Une formule exprimée clairement par l’acteur américain James Stewart: « Vous savez, les gens prennent rarement la peine de gratter la surface des choses pour trouver la vérité intérieure ». Pour dire, que les maux de la société tunisienne apparaissent très vite à la surface.
Enfin, « Si quelque chose de mauvais peut un jour arriver à la Tunisie, cela sera du fait de ses fils ». Les derniers développements montrent bel et bel que beaucoup sont en train d’envenimer la situation du pays et la crise qu’il traverse, en mettant continuellement ce grain de sable qui grippe la machine!