Le Serment d’amour de Hend Bouaziz (Arabesque 2011) est introduit par la présentation d’un paradoxe. L’amour d’un étranger, illustrant une ouverture de fait sur le monde et chantant l’hymne d’attachement à la Tunisie. « Fleurs d’oranger, orgeat, eau de rose, mêlées au Galant de Nuit… »
Le premier chapitre du Serment d’amour, centre hospitalier de Heidelberg, est une prière de l’absent, de l’autre, de l’étranger, par sa culture et ses références. Le héros clandestin s’annonce, dans le contexte de mémoire, débutant le 4 mai 2016. Puis la romancière entre en scène et présente Sarah, la galante– s’agissait-il de son héroïne !- quelques mois après la mort de l’amoureux. Un « amour parfait, dit-elle, qui tourne souvent en serment de vie et nourrit le sacerdoce ».
Conclusion tragique: « Je soussignée Sarah, fille de joie, enfant de la joie, me déclare perdue, suffoquant, évanouie ma coupe pleine et la coupe vide. Je m’en vais… » S’attardant sur le cas de Sarah, elle tente sa psychanalyse (chapitre 3).
Ainsi, la patiente a vécu une double tentative de suicide, « une patiente traumatisée ». Prostituée, par nécessité, pour tenter de financer des études ultérieures, elle entretient des relations privilégiées, au sein du bordel, avec un habitué des lieux, Charles, un richard, accablé par la mort de son ex-compagne Dora.
« Dans cette maison close surprotégée, Charles est l’exception, dans l’équation, son ami ». Mais les pérégrinations de Sarah, son fantasme malsain dit-elle, s’enrobe « d’espoir, de douceur, de philosophie même ». Bien au-delà de la discrimination sociale, des rapports entre Sarah et Charles. Sa situation de fille de joie la détourne de son exaltation affective. Et ne peut compenser son besoin d’amour ou du moins d’un rapport de tendresse. Dans son cas, toute dimension sensuelle semble exclue. Serait-elle occultée par une auto-censure de la romancière?
Une trentaine de flashbacks constitue le corps du roman (pp. 55- 150). Ils évoquent sa rencontre avec Charles, entrant dans la maison close. Charles lui déconseille de s’adonner à la prostitution (flash 1). Les autres flashbacks sont des interprétations des entretiens de psychiatres avec Sarah, leur patiente, désormais obnubilée par sa misère. Avec la mort de son père, le conflit avec sa mère refusant qu’elle devienne une fille de joie, la confidence avec George, patron du bar.
Une plongée en apnée
Ainsi, dans le Serment d’amour, « victime absolue. Elle est victime de la pauvreté, victime de l’ignorance, victime des rêves des Eldorados possibles » (p 91). Sa quête du bonheur lui rappelle sa rencontre par hasard, avec son galant au Vietnam. Son amour de circonstance fut « un amour dépassant la banalité, un amour si subit, si bruyant, si brutal … qu’elle devait garder dans ses pensées, dans un tiroir secret et bien gardé… un jour de félicité absolue » (p. 102). Mais Sarah sait qu’elle vit un avenir sans espoir, toutes voies d’évasion immédiatement bouclées.
La vie chez Betty, la patronne du bordel est une fiction, un fantasme, qui n’a rien avoir avec la réalité. Ce tabou traduit cette velléité d’utopie, de deux êtres « pendus d’une histoire de cœur qui refuse de s’inscrire, sous les données classiques de l’amour et de la passion » (p. 154).
Alors, la romancière revient et insiste sur la tragédie de l’amour. Avec ses « rencontres éphémères, perfides même, avortées dues au besoin impératif de cette solitude nécessaire, qui se prescrit d’elle-même ». Aimer, conclut la romancière, « c’est devenir tributaire d’un être, d’un sentiment, d’un souvenir… » (p. 162).
Le texte du Serment d’amour est un combiné de prose et de poésie, qui s’entremêlent avec les histoires que l’auteur narre. Mais elle reste romancière et non poétesse. Sa prose rythmée a comme objectif d’accentuer son style répétitif. La romancière qui fusionne fiction et réalité, spiritualité et passion, se propose de découvrir l’humain dans toute sa complexité et sa tragédie. Ses personnages Sarah, Dora, le galant vietnamien, Charles et l’anonyme, chez Betty, seraient ses doubles. En tant que telle, sous ses multiples faciès, l’héroïne, dans ses « hiers », son quotidien et son futur, attire et fascine.