Le coronavirus a bouleversé la vie sur la planète. Sa virulence est telle que les humains que nous sommes, en particulier la majorité de la population mondiale qui vit dans les pays pauvres et sous-développés, ne sait plus à quel saint se vouer. Notre drame en Tunisie est que ce virus vient s’ajouter à d’autres qui font des ravages depuis dix ans, rendant notre vie infernale.
Le virus de la corruption qui pourrit la vie politique, le virus du corporatisme qui mine la vie économique. Ou encore le virus des égos qui étouffe l’Etat et le réduit à une structure ossifiée.
Mais le virus le plus dévastateur semble être le virus qui s’attaque au symbole même de la justice, la balance. Sa virulence est telle que cette balance a du mal à se maintenir en équilibre. Sa létalité est telle que la structure judiciaire a du mal à assurer son indépendance, sa rationalité et sa probité.
Nous ne sommes plus étonnés de l’incapacité de la justice à se pencher sur les dossiers des assassinats politiques qui moisissent depuis des années dans ses tiroirs. Nous ne sommes plus surpris de la nonchalance avec laquelle notre justice traite les incalculables affaires de corruption. Et nous ne sommes plus stupéfaits de l’inaction de la justice face aux bandits destructeurs des piliers de notre économie et qui continuent de bomber le torse dans le bassin minier et les gisements pétroliers. De même, nous ne sommes plus ahuris de l’indifférence de la justice face aux casseroles assourdissantes que trainent derrière eux de nombreux députés.
Dix ans de désordre, d’anarchie et d’incurie à tous les niveaux ont fini par faire de nous des citoyens lassés, désabusés et blasés.
Une affaire absurde
Mais la justice a cette capacité de sortir de leurs gonds les citoyens les plus lassés, les plus désabuséset les plus blasés.
En effet, comment garder son calme, son détachement et son flegme quand on se trouve face à des affaires aussi absurdes que celle qui oppose la Haica, une structure constitutionnelle, à un média illégal ?
Cette affaire nous détourne du domaine de la justice et nous plonge dans le surréalisme. La Haica est une structure constitutionnelle dont le rôle est de protéger le paysage médiatique des parasites qui l’infectent. La radio créée par l’ancien imam et l’actuel député Said Jaziri est le prototype de ces parasites contre lesquels la Haica est constitutionnellement obligée de sévir.
Personnage trouble et ancien imam à Montréal, Said Jaziri fut expulsé du Canada en 2007. Selon le Los Angeles Times, le même personnage fut arrêté en 2011 près de San Diego en Californie « pour avoir franchi illégalement la frontière, caché dans le coffre d’une BMW ». Ce personnage se permet de créer une radio sans autorisation et dont l’origine du matériel de diffusion est pour le moins suspecte. Non seulement il a utilisé cette radio illégale dans sa campagne électorale, mais il continue de l’exploiter après son élection au parlement.
Les abus, les dépassements et les violations de la loi par ce média parasitaire sont tels que l’on est en droit de se demander pourquoi la Haica a-t-elle mis si longtemps pour la mettre hors d’état de nuire ?
Mais le jour où elle a finalement décidé d’appliquer la loi en confisquant le matériel de diffusion de cette radio illégale, la Haica se trouva dans la position d’accusée !!!
Le député-promoteur de la radio illégale porta sans rire une plainte pour « vol et tentative d’assassinat ». Et la justice, sans rire aussi, accepta cette plainte et ordonna une enquête sur la base des allégations insensées du propriétaire de la radio illégale.
L’image est surréaliste. Voilà le président de la Haica, un homme calme, honnête et intègre qui est accusé de « vol et tentative d’assassinat » par le promoteur d’une radio illégale au passé pour le moins trouble.
« Grave menace pour la sécurité nationale »
L’acceptation d’une telle plainte montre l’état de dévoiement dans lequel patauge la justice.
L’acceptation de la plainte insensée du propriétaire d’une radio illégale contre une instance constitutionnelle ne peut que ruiner une confiance déjà bien chancelante en la justice.
Que faire face à l’acceptation de la plainte d’un violeur de la loi contre l’instance chargée de l’appliquer ? Chercher la justice ailleurs. C’est ce que précisément la Haica semble déterminée à faire.
Un membre de la Haica, Hichem Snoussi, n’a pas tort d’expliquer que le problème devient « une menace grave pour la sécurité nationale », annonçant l’intention de l’instance constitutionnelle de porter l’affaire devant la justice militaire.
Comme dans l’affaire du député Rached Khiari, terré dans sa cachette, les responsables de ce qu’il faut bien appeler le désastre tunisien et leurs porte-voix ne manqueront sûrement pas de se déchainer contre « les ennemis de la révolution », « les adversaires de la démocratie », « les nostalgiques de la dictature » et « les fossoyeurs de la justice ».
Mais tout le monde sait que les « ennemis de la révolution » sont ceux qui l’ont détournée de ses objectifs. « Les ennemis de la démocratie » sont ceux qui l’ont travestie en en faisant l’arbre qui cache la forêt de la corruption et de la déprédation. « Les fossoyeurs de la justice » sont ceux qui l’ont infiltrée pour en faire un instrument au service des amis et une arme pour se débarrasser des ennemis. Quant aux « nostalgiques de la dictature », ils ont bien des raisons pour justifier leur nostalgie En un mot, entre vivre digne sous « la dictature » et mendier les moyens de sa subsistance sous « la démocratie », le choix n’est pas cornélien. Il est évident.