A sa demande, l’ambassadeur américain s’est rendu samedi dernier aux locaux du PDL pour rencontrer l’incontournable Abir Moussi. Washington jouerait-il la carte du parti destourien, la première formation politique en Tunisie? Quitte à prendre ses distances avec ses anciennes alliances d’islamistes issus de l’avènement du « printemps arabe »?
Pris dans le tourbillon des nouvelles pas toujours réjouissantes du confinement général et du couvre-feu imposés par le gouvernement de Mechichi à la veille de l’Aid, des pourparlers de Washington entre la délégation tunisienne et le FMI; enfin, des images atroces de nos frères palestiniens qui tombent tous les jours sous les balles de l’armée d’occupation israélienne, nous sommes passés à côté d’un événement politique de taille. Celui de la rencontre entre la présidente du PDL, Abir Moussi, et l’ambassadeur américain accrédité à Tunis, Donald Blome.
Plus qu’une visite de courtoisie à Abir Moussi
Une rencontre exceptionnelle à plus d’un titre, car elle fut sollicitée par le diplomate américain. Faut-il rappeler à cet égard que d’autres formations politiques, ainsi que certaines personnalités politiques de premier plan, doivent faire la queue pour obtenir une audience avec le représentant de la première puissance mondiale.
A savoir que d’habitude, et selon des règles diplomatiques bien établies au département d’Etat, un ambassadeur américain ne rencontre pas une personnalité locale dans le pays où il est accrédité, sans l’aval de Washington.
Certes, il est tout à fait normal que l’administration américaine veuille prendre contact avec celle qui risque de peser lourd sur les prochaines élections législatives. Car elle pourrait être intriguée par cette dirigeante d’un parti politique qui caracole avec insolence à la tête de tous les sondages.
Revirement de la politique américaine
D’où l’importance stratégique de cette rencontre passée presque sous silence. En revanche, elle fut scrutée avec inquiétude et appréhension par les Islamistes d’Ennahdha. Lesquels voient les prémices d’un revirement de la politique américaine depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Ainsi que les bouleversements géostratégiques qui secouent la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Avec à la clé le rapprochement d’une part entre Ankara et le régime égyptien et le nouvel axe constitué de Ryadh, Abou Dhabi et Doha et dirigée contre l’islam politique; et notamment la confrérie des Frères musulmans. Et d’autre part, la nouvelle donne en Libye.
Des relations qui avaient bien mal débuté
Pourtant, il convient de noter que les relations entre les Américains et l’orgueilleuse Abir Moussi ne sont pas partis du bon pied. Pis, elles furent mêmes orageuses.
Pour rappel, Abir Moussi, en sa qualité de cheffe d’un parti opposa en février une fin de non recevoir à une rencontre avec le second de l’ambassadeur des États-Unis, un second couteau à ses yeux. S’adressant à l’ambassadeur des Etats-Unis, elle écrit dans un post partagé sur sa page officielle: « Son excellence l’ambassadeur des Etats-Unis préfère rencontrer en personne le cheikh des Frères musulmans venu solliciter l’aide américaine pour rester au pouvoir. En revanche, elle envoie son assistant pour rencontrer la présidente du PDL. Or, le parti destourien maitrise les codes du protocole et traite avec les amis de la Tunisie avec respect, d’égal à égal. »
Et d’enfoncer le clou: « Vous vous êtes trompé d’adresse. Votre adjoint sera le bienvenu dans nos locaux pour rencontrer notre adjoint chargé des relations extérieures », a-t-elle lancé à la figure du diplomate américain. Il en fallait du culot et du courage pour s’adresser ainsi à l’encontre de l’ambassadeur américain Donald Blome. Des qualités que même ses ennemis les plus irréductibles lui reconnaissent.
Alors, pragmatique, le diplomate américain s’est déplacé en personne aux locaux du PDL.
Clin d’œil de l’histoire
Autre époque, autres circonstances, mais le même sens de l’Etat. Le 1er octobre 1985, il y a trente six ans, Israël bombardait le quartier général de l’OLP, à Hammam Chatt.
Le président américain Ronald Reagan donne raison à l’état hébreu. Aussitôt, le président Bourguiba convoque l’ambassadeur américain pour lui dire que si Washington opposait son veto à la résolution tunisienne, il romprait les relations avec les Etats-Unis.
Pour la petite histoire, les Américains se contentèrent d’un vote nul, une première dans les relations entre Washington et Tel-Aviv. Un compromis qui sauva la face des uns et des autres.
Enfin, cette rencontre marquera-t-elle un revirement significatif de la diplomatie américaine, principale instigatrice du « printemps arabe » ayant permis aux islamistes d’accaparer le pouvoir dans plusieurs pays arabes?
Il est un peu tôt pour l’affirmer. Mais d’évidence, la nouvelle administration américaine est en train de modeler par petites touches le paysage politique dans la région; y compris en Tunisie. Mais pas toujours dans le sens espéré par les islamistes d’Ennahdha.