Accepter un compromis et une politique des étapes… Les crédos du premier président de la République tunisienne, Habib Bourguiba, sont-ils en train de favoriser des avancées pour les Palestiniens? La question mérite réflexion. Analyse.
« Le président américain a exprimé son soutien à des mesures pour permettre au peuple palestinien de jouir de la dignité, de la sécurité, de la liberté et des opportunités économiques qu’il mérite. Et il a affirmé son soutien à une solution à deux États ». Que signifie cette déclaration faite, le 15 mai 2021, par le président Joe Biden; et ce, au plus fort des évènements qui se déroulent en Palestine? Et nous reviennent les propos du président Bourguiba.
S’agit-il d’une déclaration pour faire taire les roquettes palestiniennes et les manifestations des Palestiniens? Lesquelles ont, contrairement aux déclarations du Premier ministre de l’Etat hébreu, Benyamin Netanyahou, et son ministre de la défense, Benny Gantz, mis Israël dans un sale pétrin. En rendant on ne peut plus difficile, malgré sa puissance de feu et le soutien dont il a toujours bénéficié des puissances occidentales notamment, sa capacité à surmonter l’adversité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur?
Une marche progressive vers l’indépendance
Un tournant, estiment, du reste, nombre d’observateurs qui pensent que les affrontements de Gaza vont changer la donne à plus ou moins long terme. Pour un Etat qui a cru jusqu’ici avoir bien négocié le mouvement de l’Histoire auquel il a été confronté.
Quoi qu’il en soit, les développements dont il est question font que l’approche bourguibienne à l’endroit de la cause palestinienne est sans doute aujourd’hui d’une grande actualité. En clair, ses préconisations ont donné raison à un leader politique et lui ont valu d’être attaqué; après notamment son discours de Jéricho du 3 mars 1965.
Un discours dans lequel, souvenez-vous, Bourguiba recommandait notamment la reconnaissance d’Israël. Justifiant cette position par son approche des petits pas pour assurer une marche progressive, par étapes, vers l’indépendance du peuple palestinien.
A bien lire le discours de Jéricho, mais aussi l’ensemble de la pensée bourguibienne sur la question palestinienne, qui s’est exprimée au travers d’autres déclarations publiques et d’entretiens, il convient d’évoquer deux aspects importants.
Le premier est que les Palestiniens sont en train sans doute de faire avancer leur cause. Grâce à cette politique des étapes dont le premier président de la République a fait un véritable leitmotiv. En effet, en signant avec Israël les accords d’Oslo, en septembre 1993, les dirigeants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) refusaient, quoi qu’on dise, la politique du « Tout ou rien » que Bourguiba reprochait aux Palestiniens.
Les jeunes n’ont pas oublié !
Beaucoup ont été contre ces accords qui n’ont rien donné. Certes. Une chose est cependant sûre: en se trouvant sur le sol de leur Etat qu’ils mettront en place à plus ou moins long terme, quelles que soient les conditions et les évolutions, ils ont, malgré les nombreuses contraintes et adversités, pu un tant soit peu manœuvrer. Cela vaut mieux de toute façon que d’être à Tunis ou à Beyrouth.
Découlant de la même logique, la politique des étapes s’est imposée d’elle-même. Avec chaque fois des échecs, mais aussi des réussites. Les déroulements de ces derniers jours en sont un exemple. Qui peut nier que ce mois de mai 2021 fera avancer la cause palestinienne? Ne serait-ce qu’en contrariant des années d’efforts entrepris par l’Etat hébreu pour diviser les Palestiniens. A Gaza, dans les territoires occupés en 1948, ou ceux occupés en 1967, les Palestiniens ont montré qu’ils parlent d’une même voix. Et que s’il est vrai que les vieux mourront, les jeunes n’ont pas vraiment oublié. Comme le disait dans les années soixante, l’ancien ministre de la Défense Moshe Dayan.
Le second aspect concerne le fait que les Palestiniens doivent ne compter que sur eux-mêmes. On pourra dire qu’ils sont aidés par des puissances régionales ou par des organisations et structures diverses. Mais, aucun pays arabe n’est allé vraiment leur porter secours à Gaza. Un fait indéniable. Cet élément Bourguiba l’a notamment exprimé dans une interview au journaliste français Jean Lacouture, publié en 1969, dans Le Monde Diplomatique.
« Désarabisation » de la question palestinienne »
Dans celle-ci, il dit: « Le fait, de la part des Palestiniens, d’avoir choisi la résistance, de compter sur leurs propres forces, d’affirmer leur personnalité, leur nationalisme, de se présenter comme les victimes des Grands qui ont donné leurs pays à d’autres, ne peut pas ne pas impressionner le reste du monde. Alors qu’auparavant c’était Israël qui était la victime menacée, écrasée, massacrée ».
Une réalité confirmée par l’historien tunisien Ali Mahjoubi, dans un article publié dans Jeune Afrique, le 18 décembre 2003. Il y déclare: « La politique des étapes implique préalablement la responsabilisation du peuple palestinien. Il doit prendre en charge sa cause nationale et donc la « désarabisation » de la question palestinienne ».
Enfin, encore un mot. Bourguiba savait que l’occupation israélienne était bien différente des autres colonisations (dixit Ali Mahjoubi). L’historien tunisien note, à ce propos, que le président Bourguiba avait notamment une connaissance parfaite de la question palestinienne. En « présidant une délégation de nationalistes maghrébins qui a présenté le 4 mars 1946 un mémoire sur la question palestinienne à la commission d’enquête anglo-américaine » de l’Organisation des Nations unies (ONU).