Un sommet sur le financement des économies africaines vient de se tenir à Paris à l’initiative du Président français Emmanuel Macron. Interview de M. Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement.
– leconomistemaghrebin.com: M. Sraieb, la conférence de Paris serait-elle l’occasion d’un New Deal pour assainir les finances africaines et préparer la relance du continent? Qu’en pensez-vous?
Hadi Sraieb: A vrai dire il faut se méfier des formules chocs. La rencontre ne peut évoquer ni de près ni de loin le New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Traditionnellement le traitement de la dette des pays les moins avancés se fait en France au Club de Paris. Tandis que celle des pays émergents se traite en Grande Bretagne au Club de Londres. La conférence de Paris s’inscrit dans la longue tradition de « Beaucoup d’appelés…mais peu d’élus », dont sont coutumiers les grands argentiers de cette planète.
J’estime pour ma part que c’est un non-événement! Déclarations et promesses ne sont que des effets d’annonce et n’engagent que ceux qui veulent bien y croire!
– Le Président tunisien Kaïs Saïed a pris part à ce sommet. Que peut espérer la Tunisie et que pourrait-elle obtenir de cette rencontre qui mobilise entre autres bailleurs de fonds le FMI, la BM et la BAD ainsi que le G20 ?
Le cas de notre pays se traite ailleurs, en l’occurrence à Washington dans les bureaux du FMI.
Le Président a sans doute jugé utile de se faire connaitre des membres de la communauté financière internationale. Peut-être a-t-il profité de son séjour pour avoir d’autres entretiens bilatéraux.
Ce déplacement n’a aucune portée spécifique si ce n’est, peut-être, une portée symbolique!
A contrario et profitant de cette fenêtre d’opportunité, certains beaux esprits, mais chagrins, continuent à entretenir le climat d’inquiétude et d’appréhension autour du paiement des salaires des fonctionnaires. Cela n’arrivera pas pour la seule bonne raison qu’ils sont payés en dinars.
– La Tunisie a repris langue avec le FMI dans l’espoir de se voir accorder un prêt de quatre milliards de dollars en affectant à l’occasion sa volonté de réformes. Les négociateurs tunisiens sauront ils convaincre leurs interlocuteurs pour retrouver grâce aux yeux du Fonds ?
La Tunisie est toujours considérée comme une économie intermédiaire. Elle est donc assujettie à la règle d’or du FMI « réforme contre soutien financier ». Il convient de rappeler que le FMI a une excellente connaissance de la situation avec une finesse de détails qui fait pâlir d’envie chercheurs ou journalistes. Pour avoir été indirectement impliqué dans des « review of country’ economic program » en Afrique de l’Ouest, je peux affirmer que les experts du FMI ont le plus souvent une compréhension des tenants et des aboutissants, bien plus précise, que nombre de ministres et de conseillers. Notre délégation a cru pouvoir s’en tirer avec un catalogue de bonnes intentions répondant aux recommandations émises précédemment par lui-même et ses condisciples (BM, BERD, UE). C’est oublier que le FMI est d’abord une instance pragmatique et non une pure institution ultra-libérale! A ce stade les négociateurs n’ont fourni que des données liminaires déjà en possession du FMI. L’institution attend un chiffrage détaillé et prévisionnel de chacune des réformes avancées pour juger de leur crédibilité et de leur pertinence.
– Les dirigeants tunisiens ont ces dernières années failli à leurs engagements d’engager les nécessaires et difficiles réformes structurelles. Réussiront-ils aujourd’hui alors que les revendications et la pression de la rue sont encore plus fortes?
A l’évidence le FMI ne se contente pas de mots valises ou de formules magiques du type de « réformes structurelle », « restauration des grands équilibres », et autres chimères. Il s’intéresse bien plus sérieusement aux inflexions concrètes et précises qui seraient apportées à la politique économique générale et à ses déclinaisons en politiques publiques sectorielles. Quitte à me répéter, je dis que le FMI a un temps d’avance sur le gouvernement et ses conseillers. Il ne se laissera pas subjuguer par la rhétorique du bréviaire de la bonne gouvernance dans laquelle excellent désormais nos responsables! Il y a peu de chances que le FMI accède à cette requête de 4 Mds $! Cela n’aurait pour effet que d’octroyer un répit et par là permettre au gouvernement une nouvelle fuite en avant.
– Le gouvernement peut-il imposer un plan de réformes englobant les entreprises publiques, la masse salariale de la fonction publique ; les dépenses de subventions de la consommation sans susciter une vague de protestation dans le pays et de véritables émeutes sociales?
Les réformes envisagées sont connues depuis des lustres. Elles sont martelées, rabâchées à l’envie, sans qu’à aucun moment et véritablement leur bien-fondé soit établi et leur légitimité sociale assurée. Sauf bien entendu, si l’on adopte une approche comptable et financière et qui apparaît alors pour ce qu’elle est vraiment. A savoir, la tentation du virage austéritaire, dont les couches moyennes et populaires feraient les frais.
D’ailleurs, l’opinion l’a bien compris. Nul besoin d’avoir fait de longues études pour en avoir l’intuition ! D’ores et déjà, de nombreuses personnalités ont alerté sur l’incongruité de la formule consistant à remplacer les subventions par le ciblage financier des catégories nécessiteuses. Une absurdité, mais qui reconnaissons-le, a la peau dure! Il en va de même pour la réduction de la masse salariale de la fonction publique qui table sur des expédients aléatoires et peu vraisemblables. Toutes choses dont le FMI ne se contentera pas! Il continuera à demander aux autorités comment celles-ci comptent résorber pas moins de 12 Mds DT de créances contentieuses!
– Quelle doit être selon vous l’attitude de la partie tunisienne: se soumettre aux injections du fonds sans discernement aucun ou faire preuve de plus d’indépendance en dépit des graves difficultés financières du pays?
Comme je viens de le dire, le FMI est bien plus flexible et pragmatique qu’on ne veut bien le croire. Il a, de tout évidence, tiré les leçons des crises financières de ces dernières décennies, et singulièrement de celle de la Grèce de 2012! Ce qui est primordial pour cette institution c’est d’abord et avant tout la stabilité dans toutes ces acceptions. Jamais le FMI ne poussera le pays dans une impasse brutale, source d’aggravation des tensions sociales et de conflictualité incontrôlée!
La condition primordiale qui importe au FMI, c’est la construction d’un authentique consensus national non pas de façade comme c’est le cas aujourd’hui; mais bien qui s’inscrive dans la durée! Autant dire inenvisageable et inaccessible dans les jours qui viennent avec ce gouvernement actuel bien trop fragilisé, bien trop indécis! Ce qu’il convient d’avoir à l’esprit, c’est que la question centrale n’est pas technique, mais bien politique. Pour preuve, le gouvernement est tétanisé à l’idée même de devoir produire une loi de finances complémentaire. A vrai dire il ne se passera rien avant la rentrée!