On ne compte plus les guerres qu’Israël mène depuis 1948 contre les Arabes en général et les Palestiniens en particulier. Il a toujours remporté ses guerres. Dans un contexte international caractérisé par le soutien inconditionnel d’une Amérique menée par le bout du nez par le lobby israélien; par le soutien d’une Europe qui n’arrive toujours pas à dépasser son complexe de culpabilité né de ses politiques criminelles envers les Juifs. Sans parler de l’indifférence de l’opinion internationale largement façonnée par des médias aussi puissants que partiaux.
Mais la dernière guerre contre Gaza que Netanyahu a menée du 10 au 21 mai a engendré des résultats désastreux pour Israël. En plongeant citoyens et classe politique dans la consternation. Depuis la création de l’Etat d’Israël, jamais une guerre n’a suscité autant d’inquiétudes parmi les Israéliens. Passons sur 4000 fusées et roquettes lancées par la résistance palestinienne sur de nombreuses villes israéliennes, y compris Tel-Aviv. Même si elles ont surpris les renseignements, l’armée et la classe politique, envoyé des centaines de milliers d’Israéliens dans les abris, paralysé la vie économique et le trafic aérien, ces milliers de fusées ne sont pas ce qui a inquiété le plus les Israéliens. Il y a bien d’autres choses totalement inattendues qui ont plongé le pays, ses citoyens, sa classe politique et son armée dans la panique.
Réveil brutal d’Israël
Le premier événement grave qui a bouleversé Israël en ce printemps 2021 est la jonction qui s’est établie entre « les Palestiniens de l’intérieur » disposant de la nationalité israélienne et ceux des Territoires occupés. Jamais la menace de guerre civile israélienne n’a plané avec autant d’acuité qu’en ce mois de mai 2021. Jamais la communauté de destin entre tous les Palestiniens n’a été exprimée avec autant de clarté. Affrontements entre Arabes et juifs à Lod, Ramla, Haifa et autres villes mixtes ; Synagogues, voitures et commerces incendiés ; grève générale décrétée… La pagaille était telle que le président israélien Reuven Livlin n’a pas caché son inquiétude. Tout en mettant en garde ses concitoyens contre les risques d’une guerre civile.
Le réveil israélien a été brutal. Depuis 1948, les Israéliens, citoyens et politiciens confondus, ont eu largement le temps d’intérioriser l’idée que « les Arabes d’Israël », malgré la discrimination dont ils sont victimes, restent « reconnaissants pour n’avoir pas été expulsés avec les autres ». D’où « leur loyauté » envers Israël qui s’est traduite par des décennies de paix civile. Même au plus fort des intifadas de 1987 et 2000, la paix civile en Israël n’a pas été menacée. Il n’est donc pas étonnant que le soulèvement sans précédent et le ras-le-bol manifestés du 10 au 21 mai provoquent un séisme politique et social dans la structure fragile de l’entité israélienne.
Les réseaux sociaux prennent le relai
Le deuxième événement grave qui secoue Israël est la perte progressive de l’influence des grands médias internationaux pro-israéliens sur l’opinion mondiale. Ce sont les réseaux sociaux qui ont pris le relai et qui façonnent désormais une opinion mondiale convaincue non pas par ce qu’on lui raconte, mais par ce qu’elle voit en ‘live’ sur facebook, twitter, instagram et autre youtube. Nul doute que la brutalité des bombardements sur Gaza, suivis en direct sur les réseaux sociaux a joué un grand rôle dans la mobilisation des centaines de milliers de manifestants de New York à Ottawa, de Londres à Jakarta et de Paris à Kuala Lumpur. Tous révoltés par l’interminable injustice infligée aux Palestiniens.
Le troisième événement grave, en relation par les développements observés aux Etats-Unis, fait perdre carrément le sommeil à la classe politique israélienne. La cause palestinienne et l’agressivité israélienne ne mobilisent plus seulement les associations américaines anciennes comme Human Rights Watch, ou nouvelles comme Black Lives Matter. Les Palestiniens sont désormais défendus et les Israéliens dénoncés au sein du parti démocrate. Et, plus inquiétant encore pour Israël, au sein même du Congrès où, jusqu’à une date récente, celui ou celle qui s’attaque à la politique israélienne voit sa carrière brisée. Certes, les voix qui dénoncent les crimes de la politique israélienne sont encore minoritaires et se limitent à la gauche du parti démocrate et à quelques parlementaires. Mais cela reste tout de même un événement sans précédent aux Etats-Unis.
Le syndrome sud-africain
Pendant la dernière guerre de Netanyahu contre Gaza, des pressions assez efficaces ont été exercées par la gauche du parti démocrate sur le président américain Joseph Biden. D’ailleurs sa position a évolué du « droit d’Israël à se défendre », à l’exigence d’un cessez-le-feu inconditionnel auquel Netanyahu a fini par se soumettre la mort dans l’âme.
Dans la Chambre des représentants, cinq femmes, à force de courage et de détermination, ont provoqué une révolution sous le dôme du Congrès. En effet, pendant les dix jours de bombardements israéliens sur Gaza, les représentantes Cori Bush, Ayanna Pressley, Ilhan Omar, Rashida Tlaib et Alexandria Ocasio-Cortez ont dénoncé avec virulence les exactions d’Israël et défendu avec passion les droits palestiniens. Leurs discours qui ont résonné dix jours durant dans l’enceinte du Congrès ont semé la panique en Israël. Panique de voir ces cinq représentantes faire des émules au Congrès, le principal pilier sur lequel repose le soutien américain à Israël.
Au train où vont les choses, la classe politique israélienne risque d’être de plus en plus obsédée par le syndrome sud-africain. C’est que, pour avoir été le principal allié du régime d’apartheid, Israël a suivi avec une grande appréhension la désintégration du régime raciste établi par la minorité blanche d’Afrique du sud. Un événement qui doit hanter les nuits de tous les Netanyahus d’Israël en leur rappelant avec insistance que tout ce qui est bâti sur l’injustice et défendu par la force brutale est voué à la disparition.