Dans un long rapport sur les banques tunisiennes, Moody’s n’a pas mâché ses mots.
Pour l’agence Moody’s, le choc économique de la Covid-19 continuera de peser sur la qualité des actifs et la rentabilité du secteur bancaire.
Un environnement opérationnel tendu
L’une des raisons de la fragilité de l’ensemble du système bancaire est le contexte économique global dans lequel les établissements de crédits opèrent. Moody’s table déjà sur une croissance en 2021 entre 1,5% et 3%. La reprise de l’économie n’est pas prévue avant 2023.
A court terme, les risques d’une dépréciation du dinar et d’une inflation galopante sont réduits grâce à l’augmentation des réserves de change. Néanmoins, la hausse des prix du pétrole, la chute du tourisme (13,9% du PIB) et la faiblesse de la demande extérieure continuent de poser des risques pour le secteur bancaire.
A cela, s’ajoute une fragmentation politique inquiétante. Celle-ci met en péril le programme de réformes et, par conséquent, les risques de refinancement de la dette extérieure.
Pour l’agence de notation, le rythme de croissance des crédits serait à un seul chiffre en 2021, orienté essentiellement vers les entreprises publiques et les secteurs massacrés par la pandémie. Plus la reprise tarde et les pressions inflationnistes émergent, plus l’activité des banques pourrait se ralentir. Car le BCT va resserrer sa politique monétaire pour préserver la stabilité des prix.
Plein de chantiers en vue
Evoluant historiquement dans un cadre réglementaire purement local, souvent loin des standards internationaux en termes d’exigences de capital et de gouvernance, le secteur bancaire est resté avec les mêmes facteurs de risque.
Des réformes sont en cours pour se conformer aux meilleures normes réglementaires et améliorer la supervision bancaire. Mais il faudra du temps pour améliorer de manière significative les indicateurs de solvabilité et de liquidité. Les facilités accordées par la BCT, avec le report du remboursement des crédits pour les entreprises en difficulté, ne va pas refléter la réalité de la qualité de l’actif des banques. Pour Moody’s, l’application des IFRS pourrait même être retardée car les établissements ne sont pas prêts.
En particulier, les banques publiques exigent un effort plus important. En dépit des avancées enregistrées, les plans de restructuration ont pris du retard en ce qui concerne les systèmes d’information, les nouveaux cadres de gestion des risques et des créances compromises, bien que la loi de 2018 ait donné de la flexibilité pour les banques publiques au même titre que celles privées.
Le stress-test
Moody’s s’attend donc à ce que le taux des créances classées reste élevé en 2021. Car la croissance des crédits à l’économie est plus lente que les moyennes historiques. Alors que la dégradation de la qualité de l’actif s’accélérera. Les secteurs les plus risqués sont le tourisme, l’industrie, la distribution et l’immobilier. Estimé à 13% fin septembre 2020, une grande différence existe entre les banques publiques qui sont à 17% contre 10% seulement pour celles privées.
En plus de la baisse de leur qualité, le rendement des actifs diminuerait en raison de la réduction attendue des volumes, de la concurrence pour les dépôts et des besoins élevés de provisionnement. Le ratio Tier 1 et le ratio des fonds propres du secteur étaient respectivement de 10,8% et 13,2% en septembre 2020.
Le stress test mené par Moody’s supposait, entre autres, une pondération de 100% pour les Bons de Trésor au lieu du 0% retenu dans la méthode actuelle du calcul). Le Tier 1 2019 passerait à 9,6%; alors que celui des fonds propres serait de 11,8%. Dans le scénario de l’agence, la majorité des banques afficherait des fonds propres inférieurs au minimum réglementaire en cas d’un grand choc.
Les banques peuvent compter sur le BCT…
Depuis 2019, le resserrement de la politique monétaire et les mesures restrictives de la BCT ont amélioré la position de financement du système bancaire. Toutefois, les pénuries structurelles de financement restent importantes. Les dépôts sont la principale ressource des banques, représentant 74% des financements hors fonds propres en novembre 2020.
Les établissements de crédits résidents ont un accès limité aux marchés de capitaux internationaux et ont eu recours au refinancement de la BCT pour combler leurs besoins. Le ratio de transformation, plafonné à 120%, limite l’activité commerciale des banques, mais il les aide à se préparer à la mise en œuvre du ratio de financement stable net dans le cadre des normes Bâle III.
Moody’s s’attend à ce que la BCT continue à apporter son soutien aux banques en cas de besoin si l’impact de la pandémie se prolonge. Cela pourrait inverser la tendance baissière des volumes de refinancement observée depuis 2019.
… Mais pas sur l’Etat
Pour le soutien de l’Etat, il faut s’attendre à ce que la récente dégradation de la note souveraine et ses perspectives négatives limitent sa capacité à venir au secours des banques. L’exécutif doit faire face à des contestations sociales croissantes. Celle-ci réduisent sa flexibilité dans la mise en œuvre d’un ajustement budgétaire et des réformes qui stabiliseraient l’augmentation marquée du service de la dette.
Les garanties accordées aux entreprises publiques en difficulté sont estimées à 15% du PIB. Ces montant ne sont pas inclus dans le taux d’endettement de l’Etat et constitue une autre barrière à un soutien significatif aux banques.
En réalité, ce que Moody’s a présenté n’est pas nouveau. Toutefois, ce que nous devons comprendre c’est qu’un accord avec le FMI ne permettra pas seulement de sauver l’Etat, mais aussi les banques.
Le transfert du risque souverain vers les opérateurs privés qui s’est accentué depuis la révolution s’est manifesté d’un seul coup. Il était clair, mais l’incompréhension par les politiciens des enjeux nous a conduit à ce triste sort.