Le Forum en est cette année à sa 22ème édition et le magazine qui lui a donné son nom fête son 30ème anniversaire à la jonction, à l’intersection de deux mondes : celui d’avant Covid et celui qui arrive et auquel on devrait faire face et nous y préparer.
Pas étonnant alors que la question de savoir « Quelle Tunisie dans le nouveau monde qui se dessine » a été choisie comme thème central du Forum. Nos conférenciers et nos panélistes, sous la conduite de Si Habib Karaouli et de Mme Amina Bouzguenda Zeghal auront à cœur de nous éclairer sur les tendances lourdes qui vont impacter la Tunisie d’ici 2030, et même au-delà.
Exercice difficile certes, mais non moins nécessaire. Car il nous faut, en ces temps troubles, incertains, où tout bascule et s’accélère, savoir d’où l’on part et où l’on va. Il nous faut fixer des points de repère au sol, tout au long du trajet, pour nous permettre de naviguer, ne serait-ce qu’à vue, à la manière des pilotes d’avion, à défaut d’une vision à moyen terme et encore moins à long terme.
Moralité : celles et ceux qui portent la responsabilité du futur du pays seraient bien inspirés, dans l’intérêt de tous, de déterminer une destination. Si Ali Kooli, notre ministre de l’Économie, des Finances et de l’Appui à l’investissement, dont je salue le courage, l’engagement et le dévouement, nous dira celle qu’il s’est fixé ou à laquelle il pense.
Ce matin, nous allons réfléchir, nous interroger sur cette grande mutation, à laquelle gouvernement et entreprises ne pourront échapper, au moins dans ses conséquences économiques, sociales, sociétales et technologiques.
Je dois avouer, qu’en ce qui nous concerne et pour n’avoir pas été sur la ligne de départ, le temps presse, car les tendances lourdes sont déjà à l’œuvre.
Pour être bref, je pense que l’État, comme les entreprises, doivent, ainsi que le notait à cet égard Nouriel Roubini, économiste américain, intégrer la probabilité d’une accélération d’au moins quatre tendances séculaires qui pèseront sur l’action des dirigeants et sur leur façon de penser et d’agir.
Ces tendances prennent la forme de vagues qui, si elles se manifestent simultanément, auront l’effet d’un tsunami sur ceux qui n’auront pas su s’adapter et repenser à temps leur conception et leur pratique.
– La première est celle du changement climatique. Un problème qui, il y a peu, semblait peu important et même lointain. La mobilisation des différentes franges de la société, de plus en plus inquiètes en raison des bouleversements et du réchauffement climatiques survenus ces dix dernières années, creusant encore les exclusions a accru la pression sur les entreprises pour qu’elles prennent leurs responsabilités.
Il est peu probable que la Compagnie de phosphate et le Groupe Chimique puissent reprendre, comme par le passé, leur activité dans le bassin minier, à Gabès ou à Sfax.
Sans compter le fait que le pays est confronté à un stress hydrique qui fait craindre le pire.
Ce n’est pas exagéré que de dire que l’avenir de la Tunisie dépend de sa capacité de se pourvoir en eau et en électricité. Sans électricité stable et bon marché, il n’y aura ni eau, ni agriculture, ni tourisme, ni industrie.
– La 2ème vague séculaire concerne les turbulences que connait aujourd’hui le processus de mondialisation économique et financière. L’événement déclencheur en est le renversement de la politique commerciale décidée par l’administration du Président D. Trump.
Tout donne à penser qu’elle sera poursuivie sous d’autres formes plus policées par le Président J. Biden.
Pour autant, la démondialisation a connu, avec l’irruption de la pandémie de Covid-19, une accélération foudroyante, qui a perturbé la circulation des biens et des services.
Ce qui ouvre pour nous de réelles perspectives. La Tunisie pourrait, si elle s’en donne les moyens, profiter de nouvelles opportunités en matière de relocalisation de chaines de production et de valeur. Il lui faudrait faire valoir de nouveaux avantages comparatifs, en ligne avec les avancées de l’IA, la robotisation, le raccourcissement des chaines de production.
– La 3ème tendance est d’ordre démographique. Elle va au-delà de l’inquiétude concernant le vieillissement des sociétés européennes. On en mesure déjà les conséquences économiques et sociales sur la Tunisie, devenue le pourvoyeur de compétences au profit de l’Europe. Le pays se vide déjà de ses médecins, de ses ingénieurs et de ses cadres scientifiques.
De cette migration-là, voulue et choisie par l’Europe, personne ne parle, au grand préjudice de la Tunisie qui perd un argument de poids pour attirer les IDE. Conséquence : nos entreprises doivent consacrer davantage d’attention et de moyens pour pouvoir retenir leurs compétences.
– La 4ème tendance est liée à une urbanisation croissante. C’est dans les villes que se situeront, en dépit de l’effort consacré au profit des régions, les principaux foyers de la croissance : mobilité, santé, éducation, services…
Ces forces séculaires et plus encore leurs interactions auront un impact considérable sur l’efficacité et le succès des entreprises, comme des gouvernements. Notre insertion dans le nouveau monde en dépend.
Plus vite les entreprises et les gouvernements s’adapteront, mieux ils pourront faire pencher en notre faveur la balance des bénéfices, des risques et des coûts.
Il faut de vraies solutions aux questions que pose le nouveau monde qui arrive. J’entends par là les technologies émergentes, les métiers de demain, l’économie verte, les systèmes de production et les facteurs de croissance. Et un meilleur positionnement stratégique en termes de chaines de valeur pour redresser l’économie et pour que le pays accède à la prospérité et s’intègre dans la nouvelle économie mondiale.
La Tunisie, nous en sommes convaincus, a suffisamment de moyens et d’arguments à faire valoir pour ne pas rater la possibilité de prendre un leadership africain, pourtant largement à sa portée.
Nos invités, et j’en aurai fini, sauront apporter la démonstration de la nécessité et de la manière de nous inscrire et de nous projeter dans ces vagues, par qui le changement et le redressement arrivent. Il y aura des remises en question, des ruptures et des adaptations en permanence. Bref, tout ce qu’il faut pour qu’on cesse de rêver à des jours meilleurs, sans action cohérente.
Alors, pour finir pour de bon, un grand merci du fond du cœur à nos invités, à vous-mêmes, toujours aussi nombreux et aussi fidèles.
Et bien évidemment, à notre partenaire la FFN, notre compagnon de route tout au long de ces 30 dernières années.