Trêve d’hypocrisie ! Arrêtons de nous mentir à nous-mêmes et de tromper tout le monde. Quel crédit accorder aux politiques, qui clament haut et fort leur détermination à vouloir réformer l’État, ses entreprises, ses offices et ses officines, en prenant à chaque fois soin de ne point troubler l’ordre établi par qui le scandale arrive ? De quelles réformes parle-t-on, quand on se laisse aller aux solutions de facilité, quoique potentiellement dangereuses, sans oser s’attaquer aux racines du mal ?
La levée partielle ou totale, soft ou brutale de la compensation pose davantage de problèmes, autrement plus insolubles, qu’elle n’apporte de solutions à terme. Les mesures d’accompagnement seront de peu d’utilité. Elles n’y pourront pas grand-chose. Elles ne feront pas taire les bénéficiaires au plus bas de l’échelle sociale, tout en faisant de nouvelles victimes, même chez la partie la plus visible de la classe moyenne.
Les « gains » attendus – si tant est qu’il s’agit de gains – ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan du déficit des caisses sociales, des entreprises publiques et de la gabegie du train de vie de l’État. Sans compter le fait qu’il s’agit là d’un produit hautement inflammable.
Procéder à des réajustements de prix, administrés surtout quand ces derniers sont loin de refléter la rareté de produits qui ne brillent pas par leur utilité, tout en impactant lourdement nos maigres réserves de change, qui n’y souscrit, si cela peut détendre et élargir l’espace budgétaire de l’État. À condition de faire preuve de discernement.
Pour ne pas provoquer l’effroi de la population, enfoncer les uns dans la pauvreté et faire basculer les autres dans la précarité. En situation normale, la question serait résolue d’elle-même, quasi naturellement. La raison en est que la CGC est soluble dans la croissance. Si elle pose aujourd’hui problème, c’est parce que l’économie est en mode arrêt depuis une décennie. Si le PIB avait conservé sa trajectoire de croissance d’avant révolution, la CGC ferait partie de l’histoire ancienne.
« La levée partielle ou totale, soft ou brutale de la compensation pose davantage de problèmes, autrement plus insolubles, qu’elle n’apporte de solutions à terme »
Aujourd’hui, la hausse brutale et simultanée des prix du lait, du sucre, du carburant, du transport, de l’eau, de l’électricité, du gaz et demain de bien d’autres produits de consommation courante est ressentie, quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, comme une provocation, une agression, une douloureuse morsure pour les ménages et les sans-emplois en premier. Pour qui les modestes mesures financières compensatoires ne peuvent tenir de substitut au chômage.
Dire que dans son acception originelle, la CGC était davantage perçue comme une subvention déguisée pour les entreprises marginales, dont la compétitivité, et donc la survie, dépendent des seuls bas salaires, en raison des faibles niveaux de productivité.
Ce serait commettre une énorme erreur de s’engager rapidement dans une démarche de suppression de la compensation, sans intervenir en amont, sans inciter les entreprises à monter en gamme et en valeur ajoutée.
La nouvelle vague de hausse des prix sera sûrement suivie, quand elle n’est pas déjà accompagnée, de hausses des salaires chez les entreprises. Celles-ci, en l’absence quasi- certaine de gain de productivité, vont à leur tour les répercuter sur leurs prix pour ne pas succomber sous le poids de leurs charges, alors qu’elles sont largement exposées, au mieux, à la concurrence internationale, et au pis, au commerce informel. À terme, elles finiront, d’une manière ou d’une autre, par s’éteindre, si les choses restent en l’état.
La suppression de la CGC, en l’absence d’une reprise vigoureuse de l’investissement et de la productivité, se payera par l’irruption de nouveaux contingents de chômeurs en tout genre, de quoi mettre le feu aux poudres en ajoutant de la crise à la crise, et des troubles politiques aux contestations sociales.
« Ce serait commettre une énorme erreur de s’engager rapidement dans une démarche de suppression de la compensation, sans intervenir en amont, sans inciter les entreprises à monter en gamme et en valeur ajoutée »
Sans la compensation du carburant – le terme est impropre car il ne s’agit en fait que d’un manque à gagner sur les taxes pétrolières – les exploitants agricoles ne trouveront plus acquéreurs de leurs produits. Les marins-pêcheurs, pour leur part, ne prendront plus la mer. Le poisson sera inaccessible, même pour la classe moyenne supérieure, celle qui n’est pas encore engloutie sous les eaux.
La suppression brutale de la CGC sonnera le glas de l’agriculture et de la pêche, alors que partout dans le monde, aux États-Unis, en Europe, au Japon…, les agriculteurs investissent, innovent et se modernisent, grâce à l’octroi de subventions érigées en véritable politique.
Que personne ne conteste et que tout le monde salue. Il n’est nullement interdit, il
est même légitime et nécessaire d’instituer des subventions au profit de l’agriculture et de la pêche. La pérennité de ces activités, qui sont au cœur de toute politique
d’aménagement du territoire, de sécurité alimentaire et de souveraineté nationale en dépend. C’est peu de choses pour prix de la cohésion sociale, d’autant qu’il s’agit d’un transfert en dinars qui va générer des revenus en devises.
Ne nous égarons pas. Le vrai problème est ailleurs. Si la croissance du PIB retrouve sa vitesse de croisière, le poids de la CGC tombera à moins de 2% des richesses créées annuellement, avant de s’estomper avec le temps.
Moins que ce qu’il faut à l’échelle mondiale pour garantir la nécessaire cohésion sociale. Celle-ci est gravement mise à mal aujourd’hui par les dysfonctionnements de l’État et de ses entreprises.