L’accélération de la pandémie de Covid-19 se confirme en Tunisie. Mécaniquement, son bilan s’aggrave aussi. Et ce, malgré la mobilisation des initiatives individuelles ou collectives issues de la société civile et les mesures de restrictions prises par le gouvernement pour faire face à cette nouvelle vague. Un bilan macabre qui dépasse les 14 000 morts, qui ne cesse de mettre à nu les insuffisances en matière d’infrastructures, de matériels et de personnels administratifs et sanitaires. Tout en plaçant la classe politique et l’appareil bureaucratique face à ses propres responsabilités et turpitudes.
Derrière les incohérences et contradictions de la communication officielle, une réalité implacable s’impose à nous. Celle d’un État qui se trouve largement désarmé et désorganisé face à un virus. Partant, là est aussi une crise de confiance et de légitimité de l’action publique. En effet, nous n’avons plus beaucoup d’estime pour ce que font les gouvernants, malmenés au sommet de l’État, face à la pandémie.
L’impréparation et l’incurie de certaines administrations du secteur sanitaire s’expliquent par des choix politiques (synonymes de coupes budgétaires et de réductions d’effectifs); ainsi que par le vide abyssal en matière de vision stratégique au sommet de l’Etat. La crise sanitaire– notamment à travers les décisions en matière de gestion des stocks de masques– a dévoilé avec force les conséquences du processus de déresponsabilisation et de « désétatisation » des politiques publiques à l’œuvre, depuis au moins l’ère Ben Ali. Au-delà de ce constat implacable, c’est la croyance même dans l’Etat qui se pose au sortir de cette crise .
Un Etat faible, vulnérable et faillible
La tradition politico-administrative de la Tunisie est celle d’un Etat fort. Celui-ci se révèle particulièrement faible. La crise systémique provoquée par le coronavirus interroge le rôle de l’Etat et les moyens dont il dispose. D’un côté, face à l’urgence sanitaire, économique et sociale, les citoyens en ont appelé instinctivement à un Etat protecteur, instance de premier et de dernier recours. De l’autre, ce même Etat s’est montré vulnérable, faillible et incapable de répondre aux besoins exprimés par ses citoyens. Ainsi, si ses agents (hospitaliers, de l’enseignement, de l’action sociale, etc.) se montrent dignes de leur mission de service public, la défaillance de nombre de ses dirigeants politiques et bureaucratiques affecte la confiance dans ceux qui doivent incarner l’intérêt commun.
Malgré un climat toujours anxiogène, c’est moins la peur que le sentiment de colère qui habite les Tunisiens. La crise sanitaire liée à l’épidémie (devenue pandémie) de Covid-19 consolide la fracture entre les citoyens et leurs dirigeants, qui caractérisait déjà une Vème République engluée dans une « démocratie de la défiance ». Malgré des circonstances dramatiques propices aux appels à l’unité nationale, une défiance prégnante s’est ancrée dans l’opinion. La stratégie retenue par l’exécutif qui consiste à ne rien mettre en débat a accentué cette distorsion entre le peuple et ses gouvernants.
Les responsables auront à répondre de leur défaillance
Aujourd’hui, la confusion générale perdure dans la gestion de la crise. L’incertitude et un certain flottement perdurent. Ces déclarations et défaillances ont un coût humain incalculable, « inchiffrable ». Elles auront un coût également pour le pouvoir. En plus du bilan macabre et des conséquences économiques et sociales de la pandémie, les responsables auront à répondre de leur défaillance. C’est ici une loi fondamentale de la démocratie.
Tenter d’esquiver leur responsabilité politique nourrirait le populisme, l’idée aussi qu’un autoritarisme pourrait s’installer. Au-delà de discours marketing d’union nationale, il s’agit là d’un préalable à tout, pour l’avant, pour l’après. Cela vaut pour les hôtes du Palais de Carthage, de Dar El Bey et du Palais du Bardo…