En matière d’assistance nous sommes descendus d’un cran. Jusque-là nous étions, comme beaucoup d’autres pays d’ailleurs, d’infatigables quémandeurs dressés au métier de solliciteurs de l’aide internationale au développement : trouver des ressources pour restaurer les grands équilibres macroéconomiques, soutenir la croissance, entreprendre des projets d’infrastructure, participer aux processus de réforme et à la modernisation des institutions, couvrir des plans de formation et d’éducation ou simplement réduire la misère qui sévit dans certaines régions ou cités. De telles procédures, de plus en plus récurrentes, devenues l’ultimes recours de pays qui ont des difficultés d’accès aux crédits, un joli euphémisme pour parler d’Etats en faillite, avaient fini par ne plus susciter l’indignité que provoque le besoin par l’absence manifeste d’une véritable et saine gestion des finances publiques.
Pour convertir l’amour du pouvoir et la protection des intérêts politiques de quelques-uns en instrument de fortune, il faut avoir bu toute honte, devenir insensible au déshonneur, essuyer un affront ou un refus pour n’avoir rien fait de ce qu’on avait promis de faire.
Pour se défaire de tout sentiment de culpabilité, des régimes à la politique inepte et à court d’arguments, estiment que toute aide ne serait après tout qu’un tribut payé par les pays riches au profit des pays en crise.
A peine l’épisode des interminables et infructueux démarchages avec le mentor idéologique du développement et ses experts, la Tunisie s’est retrouvée aussitôt confrontée à une crise sanitaire sans précédent.
Au large tour de table du chef de Gouvernement avec les ambassadeurs des pays occidentaux du temps où il sollicitait leur soutien auprès des instances du FMI, avait succédé une action plus urgente cette fois, de concertation avec les représentants des Etats du G7. Non pas pour assurer le succès des desseins économiques, désormais passés au second plan, mais pour un appui qui s’attache à soulager l’humanité souffrante.
Or, pour faire face aux périls générés par la Covid-19, la question demeure celle qui a toujours été, d’abord une question de pratique politique : de politique économique, bien sûr. Mais aussi une question de rapports de pouvoir, de mode de gouvernement, et tout ce qui y est lié.
Catastrophe nationale
Pour une fois, les patients infectés par la Covid en détresse respiratoire par manque d’oxygène, ne sont pas responsables de leur condition, seuls les dirigeants des Etats peuvent l’être, par la coupable et dangereuse apathie, par l’incompétence et la faute morale. Ils ont de ce fait réussi à transformer une pandémie en CATASTROPHE.
Une pandémie, telle que la Covid-19, est par définition une grande épidémie qui touche la terre entière et qui, de résurgence en résurgence, ne semble pas s’éteindre de sitôt. Mais elle laisse le temps à une stratégie de secours et de lutte de se mettre en place et à la solidarité nationale et internationale de s’organiser.
Mais cela n’est valable que dans la mesure où la croissance économique du pays est assurée, autrement une pandémie aura vite fait de se transformer en catastrophe nationale. Or, curieusement, le marché du vaccin induit un double paradoxe pour un pays tel que la Tunisie : d’un côté, il doit faire vacciner toute sa population alors que, de l’autre, il subit une pression pour diminuer les dépenses publiques. C’est là un bon exemple d’un domaine où la réduction drastique des dépenses publiques exigées par le FMI devrait avoir une limite… voire être inacceptable? D’où ce marché de l’aide humanitaire.
La Covid 19, qui nous vaut de figurer au podium des pays les plus sinistrés, présente aujourd’hui toutes les composantes d’une catastrophe naturelle avec tous les traumatismes qu’elle induit.
Une catastrophe (séisme, inondations, ouragans, tsunami, épidémie), est un événement naturel et par définition imprévisible qui désorganise subitement la vie d’une communauté humaine. Cette épreuve dépasse généralement les capacités d’un pays au point qu’il ne peut pas y porter remède tout seul.
« Curieusement, le marché du vaccin induit un double paradoxe pour un pays tel que la Tunisie »
D’origine naturelle, elle n’impliquerait pas, en principe, de responsabilité humaine, même si l’on attribue au réchauffement climatique, produit de l’activité de l’Homme, ses récurrences et ses dégâts sous forme d’incendies, de cyclones et autres intempéries. N’étant pas passagère, une catastrophe produit des effets durables. Sa résilience demande du temps, surtout pour les régions qui sont à la traîne.
Si elle ne fait que détruire, la catastrophe est également productrice d’un nouvel ordre social et politique, dans la mesure où elle fait apparaître toute la réalité cachée ou occultée, avec ses insuffisances, ses carences, ses dysfonctionnements ; tous les manquements relatifs à sa gestion par les pouvoirs publics et partant la légitimité même de leur présence aux commandes du pays et de ses institutions.
La pénurie d’oxygène est un scandale lorsqu’on sait que l’oxygène liquide est la meilleure technologie disponible et la moins chère. Certes, elle exige des hôpitaux qui disposent de l’infrastructure adéquate pour l’acheminer au chevet du patient, en revanche les bouteilles n’ont pas besoin de tuyaux. Elles peuvent être livrées aux établissements de soins et aux particuliers sans infrastructure sophistiquée. Si la catastrophe donne à réfléchir, elle provoque aussi une rupture du temps. Elle marque pour les survivants une grande scission entre l’avant et l’après.
Urgence/développement/aide d’urgence
Du fait de l’incurie gouvernementale, la Tunisie est devenue un pays pauvre et vulnérable qui est en train de payer un lourd tribut à la pandémie Covid-19 qui compromet un avenir déjà peu reluisant. La Covid a mis au jour et amplifié les inégalités de richesse tout en s’en nourrissant, ainsi qu’un système de sécurité sociale limité et brinquebalent.
Dès lors, toute la responsabilité est confiée à l’individu dont les choix concernant son avenir sont, à première vue libres et volontaires, mais ne lui permettent pas à bien gérer sa vie ni à surmonter les incertitudes quant à son avenir.
La crise a également révélé non seulement la fragilité collective, la faiblesse du lien social ainsi que l’incapacité de l’économie, profondément inégalitaire, à œuvrer dans l’intérêt de toutes et tous. Elle a aussi démontré l’attitude des gens constamment dénoncée comme un des principaux obstacles à la diffusion de la prévention : leur aveugle obstination à ne pas respecter les consignes d’hygiène, leur lamentable insouciance, leur ignorance, leurs préjugés et leur incurie : tels sont les termes qui reviennent constamment pour stigmatiser l’attitude de la population vis-à-vis des gestes barrières.
Elle a enfin démontré les défaillances du système de santé, la situation alarmante des hôpitaux public et le manque de personnel soignant. Il y a aujourd’hui plus de médecins urgentistes tunisiens dans les hôpitaux publics de France qu’en Tunisie !
« La Tunisie est devenue un pays pauvre et vulnérable qui est en train de payer un lourd tribut à une pandémie qui compromet un avenir déjà peu reluisant »
Quant à l’intervention du gouvernement dans la protection de notre santé et de nos moyens de subsistance, elle reste ce qu’elle est. Nous voilà donc devenus les heureux récipiendaires de l’aide humanitaire, un qualificatif qui se décline en « intervention humanitaire ».
N’ayant jamais été concernés par l’association urgence/développement, on se retrouve, après le refus essuyé par le gouvernement sur le marché des crédits, repositionnés dans un ensemble urgence/développement/aide d’urgence et par l’absence des acteurs privés représentant les grands groupes économiques nationaux.
Appels sont faits tous azimuts. D’où cet élan de l’humanitaire d’urgence, qui a transformé un engagement jusqu’alors épisodique en une composante importante et permanente des relations internationales, dans une situation de crise majeure, du seul fait que dans ce cas précis, les pays riches ne s’en sortiront qu’une fois l’humanité dans son ensemble accèdera à l’immunité grâce à la vaccination.
D’où ces évolutions des modes d’intervention internationale qui soulèvent des questions de fond sur l’action humanitaire, ses relations avec les pouvoirs et son rapport aux sociétés dans lesquelles elle se déploie.
Un mal nécessaire
Pièce maitresse de toute politique de prévention, le vaccin anti-covid coûte cher. Il n’y aura pas de sitôt de consensus sur la levée temporaire des brevets sur leur fabrication. Contentons-nous donc de l’aide humanitaire d’où qu’elle vienne.
Dans la lutte contre la Covid, l’aide est devenue un mal nécessaire pour de nombreux Etats. Cette aide n’est pas essentiellement l’œuvre des organisations non gouvernementales porteuses dans le passé d’une remise en cause de l’Etat comme canal exclusif d’accès aux ressources d’extraversion.
L’idée était alors de mettre en œuvre des canaux plus directs de l’aide d’urgence, porteuse, par nature, d’une exigence de distribution rapide et garantie aux populations menacées et la soustraire à l’influence des autorités. L’aide destinée aujourd’hui aux pays fortement impactés par la pandémie est de plus en plus engagée dans le cadre des relations d’Etat à Etat.
Traditionnellement, en effet, l’Etat est le principal bénéficiaire de l’aide internationale. Cela est particulièrement vrai de l’aide au développement, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale, qui reste pour l’essentiel, gérée par les autorités du pays bénéficiaire, au risque d’alimenter les clientèles du pouvoir et d’exacerber le partage du gâteau national.
Or, dans un pays où les détenteurs des pouvoirs sont en conflit, l’Etat ne devrait plus être le canal privilégié de distribution de l’aide internationale. Mais passons…
L’implication ostentatoire de plus d’une dizaine de pays donateurs recouvre tout un éventail de motivations allant des préoccupations humanitaires à des considérations de compétitions politiques, en passant par des logiques d’image liées à la volonté de « faire quelque chose » pour répondre à l’émotion de l’opinion sans soumettre l’assistance humanitaire à des conditions politiques.
Le geste de la Mauritanie, un pays dont les trois quarts de la population vivent dans une extrême pauvreté, est à la fois exemplaire et touchant, mais aussi trop gênant, humiliant même. Car il nous renvoie aux fondamentaux dont nous détournons le regard parce qu’ils nous renvoient à notre propre INSIGNIFIANCE.