De temps à autre, un petit coin de l’information nationale est consacré à des manifestations très discrètes du patron de la SONEDE, entreprise nationale en charge de l’exploitation et de la distribution de l’eau pour les citoyens ainsi que pour les agriculteurs.
A chaque fois, le même message est délivré dans l’humilité qui sied aux responsables de terrain, quand les politiques du show national tiennent la vedette pour raconter des balivernes et déverser des tombereaux d’insanités au sujet de leur rôle glorieux dans la descente aux enfers qui entraîne le pays vers l’inconnu. Le message est simple : dans tous les cas de figure, le pays va avoir soif, en particulier dans les agglomérations urbaines tentaculaires qui pompent, au propre et au figuré, les ressources de l’agriculture. Déjà que le monde rural se dépeuple inexorablement, le manque d’eau jette ce qui reste sur les chemins des grandes villes, réputées privilégiées par les décideurs et les politiques en perte de repères. La question de l’eau n’est pas exclusivement tunisienne, bien qu’il faille rappeler que chacun a fort à faire à balayer devant sa propre porte.
En ce moment, on entend des bruits de bottes sur le parcours du Nil, rivière nourricière de l’Ethiopie, du Soudan et de l’Egypte. Un grand barrage en plein remplissage du côté d’Addis-Abeba risque bien de déclencher la plus grave des causes de guerre qui ait secoué l’histoire de l’humanité, celle de l’eau. Pour la petite histoire, on a bien vu chez nous des villageois préférer boucher un puits pour ne pas avoir à partager son eau avec les villageois voisins.
« La question de l’eau n’est pas exclusivement tunisienne, bien qu’il faille rappeler que chacun a fort à faire à balayer devant sa propre porte »
Et à force de multiplier les « batailles des clans » dans le pays, le manque d’eau, en particulier dans une grande partie du pays devenue désespérément aride, c’est l’idée de sort commun qui risque de voler en éclats.
En même temps, on n’a pas besoin de beaucoup chercher pour remarquer que beaucoup de Tunisiens se comportent avec les ressources en eau comme si on avait été en situation d’opulence.
Dès que le soleil commence à briller, on voit beaucoup de particuliers, commerçants à la sauvette ou services de nettoyage de tout genre, gaspiller à grande échelle le liquide que d’autres peinent à trouver pour étancher leur soif.
Le prétexte tout trouvé est qu’on a toujours agi ainsi. Sauf que maintenant, chaque goutte perdue l’est pour tout le monde et que les services de l’eau pour le commun doivent de plus en plus souvent rationner discrètement l’eau, sous des prétextes très divers, dont celui des fuites dans les réseaux devenus souvent obsolètes.
Il arrive parfois aux citoyens de considérer que nous sommes gouvernés par des irresponsables. Pour les ressources en eau, nous sommes tous coupables, gouvernants et gouvernés. Les incertitudes du climat chez nous ne sont pas une nouveauté. Il nous est déjà arrivé de perdre les pédales, et toutes nos économies, en raison du caprice du temps.
« Beaucoup de Tunisiens se comportent avec les ressources en eau comme si on avait été en situation d’opulence »
Sauf que cette fois-ci, la soif entraîne de très gros risques pour tout le système. Ventre affamé, encore plus assoiffé, n’a point d’oreilles. Et il n’aura servi à strictement rien de construire les plus belles villes, quand on est bien obligé de couper l’eau. On n’en est pas encore là, mais le patron de la SONEDE le suggère à mots à peine couverts.
Déjà sous l’ancien régime, il avait été convenu d’enseigner aux enfants, grands et petits, les droits de l’Homme. On en avait même fait une matière intégrée à la scolarité. Un leurre bien entendu, au regard de la nature du régime politique.
Cette fois, il semble tout à fait urgent de rendre obligatoire l’apprentissage du droit à l’eau, et des obligations qui vont avec. Dans certains pays bien plus développés que nous, le gaspillage de l’eau est sanctionné, pour la raison que gagner un droit oblige à ne pas empiéter, pour ce même droit, sur le droit des autres.
Au fait, est-ce qu’on peut commencer à interdire, effectivement, la construction de piscines particulières, très gourmandes en eau ? Il y a bien maintenant une police de l’Environnement pour servir contre les indélicats des ordures. Par les temps qui courent, gaspiller l’eau est tout aussi ordurier.