La Tunisie vient de vivre un nouveau 25 juillet historique après les décisions inattendues du Président Kaïs Saïed. L’utilisation du fameux article 80 de la Constitution, appuyée par une interprétation qui ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes du droit constitutionnel, a semé l’espoir dans l’esprit de la majorité des Tunisiens. Qu’il s’agisse d’un coup d’état ou non n’est pas le sujet de ces lignes. Toutefois, cette joie spontanée ne doit pas nous faire oublier que la facture économique qui nous attend risque d’être très salée.
Les foules d’hier soir affirment que la population n’en peut plus. La dégradation des conditions de vie, conséquence directe de choix économiques et sociaux erronés depuis des décennies a fourni un soutien illimité aux décisions du Président. Des décisions qui ne sont pas sans risque.
Le terrain était prêt
La crise sanitaire a accéléré l’histoire et sa gestion a laissé des séquelles. Le nombre de morts frôle les 19 000 selon les statistiques officielles, qui sont d’ailleurs contestables. Et les mesures prises pour lutter contre la propagation de la maladie n’ont jamais été appliquées avec la même fermeté sur tous les Tunisiens. L’impression que les plus aisés sont au-dessus de la loi et que les chances d’accès aux soins ne sont pas égales ont créé un sentiment profond d’injustice parmi la population.
Le gouvernement a échoué dans l’instauration de mesures concrètes de soutien aux classes sociales défavorisées et à ceux qui ont perdu leur emploi ou des tranches significatives de leurs revenus. A cela, s’ajoute de graves erreurs de communication et des prises de risque. A l’instar de ce qui s’est passé la semaine dernière au Ministère de la Santé, créant ainsi un terrain fertile à toute décision qui met fin au système.
La démocratie n’est plus une priorité. C’est une réalité. Avec la mauvaise gestion, elle est même devenue accusée d’être à l’origine de tous maux que nous vivons. Et de permettre à une « bande d’incompétents » de gouverner.
Moment critique
Les citoyens qui sont sortis hier ont donc vu dans l’acte de Saïed une libération tant attendue. Ainsi que le rejet définitif d’une classe politique qui n’a jamais apporté de solutions à leurs vrais soucis. Mais est-ce que c’était la bonne manière?
Dans les démocraties, le changement est possible, mais via les urnes. Malgré toutes les défaillances, la Tunisie est considérée comme un pays de droit. Ce qui nous a permis d’accéder à des ressources financières importantes depuis 2011. Les bailleurs de fonds internationaux, qui restent un bras politique des plus grandes puissances mondiales, n’ont jamais laissé tomber le pays. Et ce, bien qu’il n’ait pas respecté les calendriers de réformes qu’il s’est fixé lui-même.
Maintenant, nous devons être conscients que si nous voulons du changement et une vie meilleure, nous devons accepter des sacrifices. Les décisions prises hier soir interviennent dans un moment économiquement délicat. Nous entrons dans la seconde phase de l’exercice budgétaire sans avoir suffisamment de ressources pour affronter les dépenses. Le Trésor a battu tous les records de sorties sur le marché de la dette interne et souffre pour honorer ses engagements internationaux. Nous sommes en phase de discussions techniques avec le FMI qui préconise un consensus national sur des réformes rejetées par la majorité des Tunisiens. Cette condition est, de facto, irréalisable aujourd’hui. Plus que jamais, le risque d’un défaut de paiement se dessine sérieusement à l’horizon.
Attention aux dérives
Songer à une meilleure qualité de vie est légitime, mais croire que le gel de l’ARP et la nomination d’un nouveau chef de gouvernement est la solution est faux.
Le Président Saïed a toujours considéré que le pays dispose des ressources et que le problème réside dans la répartition de la richesse. C’est également incorrect.
Certes, il y a un gap entre les catégories socio-professionnelles et le système fiscal en place est largement perfectible. Mais la Tunisie s’est appauvrie depuis 2011. En dollar, le PIB a fondu. Il n’y a pas de vannes de cash à ouvrir pour distribuer des salaires ou pour recruter tous les chômeurs. Il n’y a pas de baguette magique pour faire baisser les prix; ou pour que les banques octroient des crédits avec un taux d’intérêt marginal. Et il n’y a qu’une seule réalité: si nous voulons mener la belle vie, nous devons travailler dur. Si nous voulons être une nation souveraine, nous devons accepter de lourdes concessions.
Malheureusement, ce que nous risquons de voir est plutôt le déclenchement d’une nouvelle spirale s’instabilité politique sociale qui bloque le peu de dynamisme économique qui reste. Sans une prise de conscience générale de la gravité de la situation et un discours franc sur les capacités réelles du pays qui calment les esprits, la Tunisie se dirige vers l’inconnu.
Que Dieu protège notre patrie.