Des contrebandiers et des trafiquants de devises ont pu enrôler une femme pour leur servir de mule. Et ce, afin de faire sortir illégalement de grosses sommes de devises par les frontières libyennes. Un fait divers? Sauf que la personne incriminée s’avère être une juge en fonction. C’est le monde à l’envers!
Un simple fait divers? Une dame d’apparence impeccable, à qui on donnerait le bon dieu sans confession, a été interceptée par des agents douaniers, mardi 10 août. Elle était en possession de devises dont la somme avoisine les 423.360 euros outre 36.360 dinars tunisiens. Surprise: la mule se révélait être une juge exerçant dans l’un des tribunaux tunisiens!
Deux poids, deux mesures
Réagissant à chaud à ce scandale retentissant, le président de la République, Kaïs Saïed a tenu à rappeler que « la loi s’applique à tous équitablement. Nonobstant le statut de la personne incriminée, sa fortune ou sa fonction ».
« Un pauvre qui vole de la nourriture dans un magasin se voit infliger une sanction exemplaire. Il doit en être de même pour tout citoyen, quelle que soit sa position ». Ainsi poursuivait le chef de l’Etat, lors de sa rencontre, hier mercredi 11 août 2021, avec le ministre de l’Education, Fethi Sellaouti.
Et d’enfoncer le clou: « Elle dit qu’il s’agit d’un service rendu à autrui et la justice la relâche au nom de l’indépendance de la justice. Alors que ce sont eux qui devraient donner l’exemple! Elle a pourtant été arrêtée en flagrant délit! »
Kaïs Saïed se réfère apparemment à une affaire similaire qui s’est produite le même jour à Kasserine. En effet, cinq personnes furent interceptées en possession de devises étrangères. Elles ont été arrêtées sur le champ et incarcérées pour crime terroriste et trafic de devises. Par contre, la juge était accusée de simple infraction de change et relâchée grâce à son immunité judiciaire.
Deux poids, deux mesures. On apprendra plus tard que le Conseil de la justice judiciaire décidait de suspendre la juge en question et de lever son immunité. Ouvrant ainsi la voie à ce que la juge en question soit poursuivie en justice.
Deux versions des faits dans l’affaire de la juge
Mais, revenons aux faits. Mardi, 10 août 2021, les services d’intervention de la douane du gouvernorat de Monastir ont appréhendé au niveau de l’autoroute A1, entre Msaken et El Jem, la voiture d’une juge, une Golf 7. A bord de laquelle se trouvait un sac sur la banquette arrière du véhicule contenant une somme en devises étrangères et des dinars tunisiens. Le tout avoisinant 1,5 million de dinars.
Selon le communiqué de la Douane, cette arrestation intervient suite à des informations portant sur un réseau de trafic de devises auquel appartient la juge en question.
Toujours selon la même source, lors de l’interrogatoire, la juge a avoué qu’elle entendait transférer ces sommes d’argent vers une ville du sud tunisien. Et ce, au profit de bandits spécialisés dans le trafic de devises.
Par ailleurs, le porte-parole de la Douane tunisienne et colonel-major, Haythem Zaned, révélait, hier mercredi sur les ondes de Shems FM, que l’argent saisi appartient à un réseau de trafic de devises qui exerce principalement dans la ville d’El Jem et de Msaken. Ajoutant que ce n’est pas la première opération de transport de devises dans laquelle la juge est impliquée. Et que la magistrate « a reconnu avoir transporté une autre somme d’argent précédemment. Nous la considérons comme l’un des membres du réseau de trafic », concluait-il.
A la question de savoir pourquoi elle a été relâchée alors qu’elle a été prise la main dans le sac, le douanier s’est contenté de rappeler que « la remise en liberté des suspects est du ressort du ministère public. La douane n’interfère pas avec les prérogatives de ce dernier. Nous avons seulement pour rôle de continuer l’enquête ».
Corporatisme?
Autre version des faits. La porte-parole de la Cour d’appel de Monastir, Raoudha Berrima, soutient que la juge interceptée en possession d’une grosse somme d’argent en devises étrangères « a nié le fait que cette somme en devises lui appartienne. Elle a voulu tout simplement rendre service à une connaissance. Elle ignorait complètement qu’il s’agissait de devises, reconnaissant seulement le transport d’argent ».
« La suspecte ne s’est pas prévalue de son immunité et le ministère public de Monastir n’avait aucune connaissance de l’enquête lancée depuis des mois par les services douaniers ».
Toutefois, déclarait-elle mardi dernier sur les ondes de Mosaïque FM, la juge est maintenue en liberté compte tenu de sa coopération avec la douane. Car elle a dévoilé le nom de la personne censée recevoir l’argent. Tout en restant soumise à l’interdiction de voyager.
Bref, la juge a été interrogée, interdite de voyage et remise en liberté par son confrère. Par corporatisme?
Après les deux affaires des magistrats, au sommet de l’hiérarchie judiciaire, Taïeb Rached et Béchir Akremi, les Tunisiens apprennent avec sidération qu’un juge sert de « mule » au service des contrebandiers et de trafiquants de devises. En se servant sans vergogne de son immunité judiciaire.
Loin de nous d’incriminer l’immunité judiciaire, clef de voûte du pouvoir judicaire et garant de son indépendance. Ni de mettre dans le même panier les magistrats honnêtes et scrupuleux, et ils sont nombreux, avec les brebis galeuses. Mais, un coup de balai salutaire s’impose au sein des palais de justice. A l’instar de ce qui s’est passé dans l’hémicycle, au lendemain d’un certain 25 juillet 2021.