La vision de la Banque Mondiale a toujours été marquée par différents préjugés conservateurs. Sur les causes du sous-développement, sa vision n’a jamais cessé d’être ethnocentrique. Le caractère réactionnaire de sa représentation du monde n’a pas du tout disparu au fil des années.
La politique d’aide de la Banque mondiale est directement reliée aux objectifs politiques que les États-Unis veulent atteindre : produire à l’échelle mondiale le type d’environnement politique et économique dans lequel l’Amérique du nord peut poursuivre au mieux ses propres buts, en fait ses représentations politiques et économiques indépendamment de toute réalité leur correspondant.
Dans ce domaine, l’effet de ruissellement, une métaphore triviale qui a guidé l’action de la Banque Mondiale depuis le début, est intéressant. L’idée est très simple : les retombées positives de la croissance ruissellent en bénéficiant d’abord aux plus riches mais en bout de course, elles atteignent aussi les plus pauvres. Ceux-ci ont donc intérêt à ce que la croissance soit la plus forte possible, les gouttelettes de richesse qui leur parviennent en dépendent.
En effet, si la croissance est faible, les riches gardent une part plus grande que si la croissance est forte. Quelles en sont alors les conséquences pour la conduite de la Banque mondiale ? Il faut favoriser à tout prix la croissance afin, qu’en bout de course, les pauvres en profitent. Toute politique qui freine la croissance au nom de la redistribution des richesses réduit l’effet de ruissellement et porte préjudice aux pauvres.
« La politique d’aide de la Banque mondiale est directement reliée aux objectifs politiques que les États-Unis veulent atteindre »
Avec l’accroissement de l’endettement, la Banque Mondiale a développé ses interventions dans une perspective macro-économique. Elle a imposé de plus en plus la mise en place de politiques d’ajustement structurel, une thérapie de choc qui n’est pas sans conséquences graves.
Avec le temps, BM et FMI étaient devenus des acteurs majeurs qui pèsent lourdement sur les orientations politiques et économiques de pays dits en développement, quitte à outrepasser leurs droits.
Parmi les produits culturels diffusés à l’échelle planétaire, les plus insidieux sont des termes ou expressions isolés d’apparence technique : « ajustement structurel », « économie libérale de marché », ou « mondialisation des échanges ».
Du fait qu’ils condensent et véhiculent toute une philosophie de l’individu et de l’organisation sociale, ils sont aptes pour fonctionner comme de véritables mots d’ordre politiques, en l’occurrence le moins d’État, davantage de privatisation, le libre échange et l’acceptation de la généralisation de la précarité comme une fatalité.
Ces notions, fortement polysémiques, ont noyé dans l’œcuménisme culturel les effets de l’impérialisme et de faire apparaître un espace d’échanges commerciaux : le marché, ou un rapport de force transnational : la mondialisation, comme une nécessité naturelle.
Au terme d’un retournement symbolique fondé sur la naturalisation des schèmes de la pensée néolibérale, dont la domination s’est imposée depuis vingt ans, grâce à l’idéologie conservatrice anglo-saxonne, le remodelage des rapports sociaux et des pratiques culturelles des sociétés avancées conformément au dogme nord-américain, fondé sur la paupérisation de l’État, la marchandisation des biens publics et la généralisation de l’insécurité sociale, est aujourd’hui accepté avec résignation comme l’aboutissement obligé des évolutions nationales, quand il n’est pas célébré avec un enthousiasme grégaire.
« Avec l’accroissement de l’endettement, la BM [… ] a imposé de plus en plus la mise en place de politiques d’ajustement structurel, une thérapie de choc qui n’est pas sans conséquences graves »
Une nouvelle forme de décolonisation s’impose par conséquent pour sortir de l’impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général.
Cependant, il nous incombe de balayer devant notre porte. Jusqu’à preuve du contraire, la politique de développement de la Tunisie, autrement dit l’accélération de la croissance du pays, repose sur une stratégie empruntée à la prescription standard des institutions financières internationales : transparence de l’action publique, lutte contre la corruption, réduction des dépenses de l’État, libre fonctionnement des marchés, privatisation, démocratie, et un État de droit.
Or, le bon élève salué en 2007 par le FMI, s’est transformé depuis 2011, grâce au concours des islamistes et des gouvernements d’incompétents, en un cancre insolvable, récalcitrant, manquant de motivation, qui se retrouve rappelé, à chaque décaissement de prêt mis à disposition, à ses obligations d’emprunteur et sommé de remplir les conditions prescrites.
Encore une fois, la seule solution envisageable mais qu’on s’empresse d’occulter, se retrouve dans le champ des institutions. C’est là où se cachent les clés de la stabilité sociale, du bien-être et de la croissance de long terme ; celle qui distingue les pays connaissant ou ayant connu une croissance élevée et durable de leur activité économique, des autres pays dits en développement.
« Le bon élève salué en 2007 par le FMI, s’est transformé depuis 2011, grâce au concours des islamistes et des gouvernements d’incompétents, en un cancre insolvable… »
Mais c’est là aussi où le bât blesse. Car par institution il faut entendre les règles du jeu social qui relient l’ensemble des acteurs sociaux, modèlent les comportements et les anticipations et favorisent la création des richesses.
Sur ce point nodal, on n’a pas cessé de faire appel, en vain, à la probité et à l’exemplarité des leaders politiques, au patriotisme des partenaires sociaux, au civisme des citoyens et à l’identité laïque et solidaire : autant de vertus sans lesquelles on n’arrivera pas à reconstituer un tissu social disloqué qui passe par une prise de conscience civique chez les individus, grâce à une éducation éthique et juridique appropriée.
Or, de ce côté, le chemin est long et il est devenu encore plus long avec un président de la République qui ne cherche plus à fixer un but à ses interminables errances.