Cela fait maintenant vingt ans que les Américains se recueillent chaque 11 septembre à la mémoire des 3000 victimes tués en quelques minutes dans les terribles attentats contre les « Twin towers » et le Pentagone, perpétrés par les terroristes d’Al Qaida.
Inutile de revenir ici sur les bouleversements d’ampleur planétaire provoqués par ces attentats, en particulier au Moyen-Orient après l’agression armée contre l’Irak, son dépeçage et son intégration dans le cycle infernal de la violence et de l’anarchie. De tels bouleversements ont été très largement commentés à longueur d’années pour qu’on y revienne.
Inutile de revenir ici sur les bouleversements d’ampleur planétaire provoqués par ces attentats, en particulier au Moyen-Orient après l’agression armée contre l’Irak, son dépeçage et son intégration dans le cycle infernal de la violence et de l’anarchie. De tels bouleversements ont été très largement commentés à longueur d’années pour qu’on y revienne.
Mais les attentats du 11 septembre 2001, se sont répercutés également sur le fonctionnement de la démocratie américaine, aggravant la complexification d’un système politique, suffisamment complexe par nature.
En effet, il n’est pas du tout aisé de comprendre le fonctionnement de la démocratie américaine, ni l’attitude de la majorité des citoyens dans les moments cruciaux de l’histoire des Etats-Unis.
Voici un pays qui vous déboulonne impitoyablement un président, Richard Nixon pour ne pas le nommer, parce qu’il avait eu la curiosité d’écouter ce qui se disait chez ses rivaux démocrates dans le siège de leur parti dans la tour Watergate, mais qui laisse un autre couler des jours heureux au Texas, malgré les terrifiants crimes de guerre commis en Irak, et en dépit du sacrifice éhonté de vies humaines et du gaspillage des finances américaines.
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi la justice américaine se montre-t-elle si vigilante et si intraitable quand elle attrape dans ses filets un pauvre bougre qui a volé une paire de chaussures par exemple dans une grande surface, mais regarde ailleurs quand il s’agit d’un président responsable de la mort de centaines de milliers d’Irakiens et de milliers de soldats américains tués dans une guerre déclenchée sur la base d’un mensonge.
Mensonge inoffensif et mensonge désastreux
On dit que les Américains ont horreur du mensonge. Richard Nixon fut forcé de démissionner moins parce qu’il espionnait les démocrates que parce qu’il avait menti en clamant pendant des mois son innocence et en défendant la thèse de la « machination » et du « complot ».
S’il avait reconnu sa responsabilité dès le départ et présenté des excuses, il serait probablement allé jusqu’au bout de son second mandat.
Richard Nixon avait menti certes, mais son mensonge était inoffensif. Pas un soldat n’a été tué. Pas un dollar n’a été gaspillé et pas la moindre atteinte à la dignité ou à la réputation ou aux intérêts vitaux du pays.
Pourtant, les Etats-Unis, toutes catégories sociales confondues, étaient entrés en ébullition et ne s’étaient calmés que le jour où Nixon avait démissionné.
George W. Bush avait menti. Son mensonge était dévastateur. Laissons de côté l’Irak dont le calvaire de grande ampleur n’intéresse nullement les Américains. Le mensonge de Bush avait provoqué un désastre que les Etats-Unis ont rarement vu dans leur histoire : une armée de 130.000 hommes fut engluée dans les sables mouvants mésopotamiens, des milliers de soldats tués, des dizaines de milliers de blessés, des trillions de dollars gaspillés, une réputation internationale fortement écornée.
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi, en dépit de l’ampleur de cette catastrophe, les citoyens américains n’ont pas bougé le petit doigt ni demandé le moindre compte au premier responsable de cette guerre insensée.
« Le fardeau ultime »
Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi le peuple américain, qui n’avait pas toléré le mensonge futile de Richard Nixon, est aujourd’hui si indifférent vis-à-vis d’un mensonge aussi dévastateur que celui qui avait servi de prétexte à l’invasion de l’Irak au printemps de 2003.
Mais peut-être y a-t-il une explication à cette étonnante indifférence. Dans un article publié dans le New York Times, intitulé « The ultimate burden » (le fardeau ultime), le journaliste Bob Herbert écrit : « Si on avait la conscription –ou même la menace de conscription-, on ne serait probablement pas en Irak et en Afghanistan. Mais nous n’avons pas de conscription, et donc cela ne pose pas de problèmes pour la majorité des Américains d’être indifférents au déclenchement de la guerre. Ce sont les enfants des autres qui vont à la mort. »
« Il n’est pas du tout aisé de comprendre pourquoi le peuple américain est aujourd’hui si indifférent vis-à-vis d’un mensonge aussi dévastateur que celui qui avait servi de prétexte à l’invasion de l’Irak au printemps de 2003 »
Bob Herbert a mis le doigt sur l’essentiel. Tous ceux qui étaient en âge de suivre les événements tragiques de la guerre du Vietnam se rappellent des violentes manifestations qui étaient organisées un peu partout aux Etats-Unis. Les citoyens américains exigeaient l’arrêt de la guerre et le retour des soldats. C’est que ceux-ci n’étaient pas alors des volontaires mais des conscrits.
Dans le conscient collectif américain, les soldats qui servent en Irak et en Afghanistan, contrairement à ceux qui servaient au Vietnam, sont des volontaires. Aucune loi ne les a obligés à s’incorporer. Aucun appel sous les drapeaux ne leur a été adressé. Ils sont allés vers l’armée de leur propre chef, ont signé un contrat avec elle et ont accepté ses conditions en contre partie d’un salaire. Par conséquent, ils sont responsables de tout ce qui leur arrive : mort ou blessure, folie ou suicide.
C’est cet état d’esprit de l’Américain moyen qui explique cette indifférence à l’égard de la guerre d’Irak, aussi insensée soit-elle. C’est ce qui explique aussi l’indifférence à l’égard des mensonges proférées pour la justifier et l’absence totale de volonté de demander des comptes aux responsables.
Les générations futures lourdement endettées
Mais il y a autre chose aussi. Les guerres de l’après 11 septembre ont coûté non pas des milliards, mais des trillions de dollars. Des sommes faramineuses qui auraient sans doute fait beaucoup de mal au contribuable américain, si Bush et ses successeurs avaient mené leurs guerres d’agression en faisant payer leurs concitoyens. C’est-à-dire en levant l’impôt approprié exigé par toute guerre.
Le financement de la guerre d’Irak a été fait en vendant des bons de trésor aux Chinois, aux Japonais, aux pays pétroliers et à tous ceux qui ont un surplus d’argent à fructifier.
En d’autres termes, Bush & Co. ont fait payer les Américains qui n’étaient encore nés, puisque ce sont eux qui rembourseront. C’est la seconde raison qui leur a permis d’échapper à l’ire des Américains et de se payer des retraites tranquilles comme si de rien n’était.
En refusant de demander des comptes aux responsables de la gestion criminelle de l’après 11 septembre, la démocratie américaine aura ainsi démontré qu’elle n’est pas seulement indifférente au calvaire imposé aux millions d’Irakiens, d’Afghans, de Syriens et de Libyens, mais aussi à l’égard des générations futures des Etats-Unis.