L’Association Club Mohamed Ali de la culture ouvrière (Acmaco) a organisé, les 27,28 et 29 août 2021, sa 28e université d’été, à Hammamet, sur le thème : « Quel nouveau contrat social pour refonder la transition démocratique après le 25 juillet 2021 ? Pour un contrat social citoyen ».
Objectif : réfléchir sur un nouveau contrat social et sur les conditions à réunir pour vivre ensemble sur la base d’un stock de nouvelles valeurs communes.
Les travaux de cette université ont été animés par d’éminents experts pluridisciplinaires en économie, droit, sociologie, philosophie, et avec la participation des représentants actifs du mouvement syndical et associatif. En voici les moments forts.
Définissant le contrat social, Fethi Triki, philosophe, a indiqué qu’il s’agit d’un accord par lequel des hommes différents constituent, sur la base de valeurs partagées, un pouvoir commun de manière libre, consentante et volontaire, qui leur permet de coexister pacifiquement.
Pour lui, les contrats sociaux conclus jusqu’ici sont de faux contrats, en ce sens où ils ont été réduits à organiser les rapports entre employeurs et employés, alors que le contrat social dans sa conception globale signifie l’acceptation des membres d’une communauté de vivre ensemble sur la base de valeurs partagées. A la limite, le contrat social est à assimiler à la Constitution, la loi des lois.
Fondements du contrat social citoyen
Traitant de ce qu’il appelle « le nouveau contrat social citoyen », Habib Guiza, président de l’Acmaco, propose un nouveau modèle sociétal fondé sur la citoyenneté multiple (juridique, socioéconomique, écologique, territoriale, numérique…). Ce nouveau contrat signifie, dans sa version moderne et globale, un engagement pour un développement concerté entre les partenaires sociaux, Etat, syndicat, patronat, société civile.
Le but étant de garantir paix sociale, développement et croissance. L’ultime objectif est pour lui : « la mise en place d’un Etat stratège démocratique et social, une société civile efficiente, un modèle de développement partenariat, équitable, numérique et durable avec trois acteurs d’activités : public, privé et tiers secteur, dit secteur de l’économie sociale et solidaire qui est appelé à jouer un rôle majeur ».
Gouvernementalité, décentralisation : piliers du contrat social
Pour Fadhel Moussa, homme politique, juriste, universitaire et avocat, la Constitution de 2014 peut être perçue et considérée comme un contrat social citoyen et participatif, en ce sens où il transcende le rapport réducteur entre organisations professionnelles pour un projet de société plus global, où modernistes, islamistes, conservateurs et autres peuvent coexister.
Pour lui, la Constitution consacre ce qu’il appelle, en référence au philosophe Michel Foucault, « la gouvernementalité », pratique généralement associée à la participation volontaire et effective de celui qui est gouverné.
C’est ce qu’on appelle communément la démocratie délibérative. Pour sa part, Riadh Zghal, sociologue, pense que la décentralisation, associée à la bonne gouvernance et à la pratique démocratique procèdent de la même finalité et seraient le triangle vertueux pour promouvoir la démocratie délibérative et améliorer, sur la base de valeurs communes, le quotidien des Tunisiens, partout où ils se trouvent.
Quant aux obstacles qui pourraient entraver tout futur projet de contrat social citoyen, Seghaier Salhi, auteur de l’ouvrage « Le colonialisme interne et le développement inégal : le système de marginalisation en Tunisie comme modèle » a démontré comment l’économie de rente ou « l’économie du Makhzen » pourrait compromettre tout
projet de nouveau contrat social. Le Makhzen étant, selon lui, l’ensemble des entreprises et familles qui contrôlent l’économie du pays, bloquent, depuis l’ère de la colonisation ottomane, le développement de l’entrepreneuriat et favorisent les inégalités sociales et régionales.
Le Makhzen serait une entrave à toute réforme
Autrement dit, selon lui, le Makhzen correspond à la situation dans laquelle l’Etat, pour consolider sa capacité à juguler tout débordement, s’appuie sur un groupe ou sur une élite, dont les membres jouissent de privilèges, d’un accès facilité aux emplois, aux agréments, aux financements, en échange de leur soutien à l’Etat en cas de crise.
Point d’orgue de son analyse : le phénomène des makhzéniens est, désormais, structurel en Tunisie. « Ils ont su s’adapter à toutes les formes de pouvoirs qui se sont succédé en Tunisie: les beys, les colonisateurs français, l’ère bourguibienne, l’ère Ben Ali et tout récemment celle de l’Islam politique ».
Pour lui, le Makhzen s’inscrit dans une volonté de sauvegarder une culture dominante qui justifie le passé et veut donner une légitimité à un futur qui constitue la suite parfaite du passé. Le débat instauré suite à ces interventions a dégagé tout l’intérêt qu’il y a pour l’équipe du chef de l’Etat Kaïs Saied de tenir compte de tous ces éléments d’analyse et d’information historique lors de l’élaboration de futurs textes engageant le devenir du pays, après l’acte de rupture du 25 juillet 2021.