Dans son nouveau livre intitulé « L’Islam et la Science » dont la parution dans les librairies est prévue pour aujourd’hui, mercredi 22 septembre 2021, notre compatriote le professeur Faouzia Charfi revient sur l’histoire des sciences en pays d’islam. Elle plaide pour une véritable séparation de la science et du religieux. Et adresse à l’occasion un message aux jeunes générations, trop souvent séduites par un projet ambigu d’islamisation de la connaissance.
Personnalité respectée dans les milieux universitaires, Faouzia Charfi est une physicienne et professeure à l’Université de Tunis. Auteure de La Science voilée et de Sacrées questions, elle a été interviewée par l’hebdomadaire parisien le Point. Et ce, à l’occasion de la sortie de son livre en France chez Odile Jacob.
Concordisme
Interrogée sur la forme que prend aujourd’hui l’islamisation de la science en terre d’Islam, l’auteure explique que la forme la plus visible, à travers les réseaux sociaux, est le concordisme.
Ainsi, selon les islamistes, « toute la science existe, prédite dans le texte coranique. Cela correspond à un islam totalitaire qui prétend avoir accès à tous les aspects de la connaissance. On la perçoit aussi dans l’enseignement. Comme ce professeur de physique de Kairouan qui, pour un cours sur la pression atmosphérique, se réfère au Coran ».
Se démarquer de l’Occident
Une manière de se démarquer de l’Occident? Absolument, affirme Faouzia Charfi.« Cette position s’inscrit en effet de manière frontale, pour affirmer que l’Occident n’a rien inventé, qu’il veut nous imposer ses valeurs scientifiques », poursuit-elle.
Mais, les islamistes oublient de rappeler que, « pour écrire cette science, il a eu besoin de rompre avec le christianisme. Et que les découvertes de Galilée, de Copernic, persécutés, se sont faites en rupture avec la religion ».
Islam et essor de la science
Revenant sur l’âge d’or de la science arabe entre le VIIIe et le XIe siècle, la physicienne rappelle à juste titre que la majorité des musulmans parle de la période glorieuse de la science en l’associant toujours à l’islam. « Certes, c’est une science qui se déploie dans le cadre d’une religion qui naît. Mais l’islam en tant que religion n’a rien à voir avec cet essor de la science. C’est une explication essentialiste que je réfute ».
Et d’expliquer: « L’arrivée de la dynastie des Abbassides et du calife Al-Mansour déclenche un vaste mouvement de traduction de textes grecs, persans, indiens.
Dans un Bagdad multiculturel, où se côtoient musulmans et non-musulmans, chiites, sunnites, arabes, non-arabes, naissent aussi des lieux de transmission. Percent ainsi les premières avancées en astronomie, mathématiques et médecine.
À partir du Xe siècle, le rythme des traductions se ralentit, on produit davantage ; au Caire s’ouvre en 1004 la première maison de la connaissance, des institutions privées richement dotées où se croisent savants, enseignants, étudiants. Elles vont essaimer aux quatre coins du monde arabe. Initialement, valoriser cette tradition de la traduction était une manière pour le pouvoir abbasside de démontrer sa puissance ».
« L’ennemi déclaré devient la raison »
Malheureusement, ajoute l’auteur de l’Islam et la Science, « quand les Turcs seldjoukides s’emparent de Bagdad en 1055, écartant les dynasties chiites à Bagdad puis en Égypte, ces sunnites mettent fin à la transmission du savoir rationnel au profit de la transmission des sciences de la tradition islamique.
Ainsi, les maisons de la connaissance sont progressivement détruites, remplacées par des madrasas, écoles consacrées à l’enseignement théologique. Chaque madrasa se définit selon son donateur appartenant à une école juridique sunnite particulière.
Ainsi, l’universalité de la science est abandonnée. L’ennemi déclaré devient la raison, les tenants de l’école rationaliste, et s’impose une orthodoxie sunnite fondée sur un volontarisme divin : Dieu, ordonnateur de toute chose, gouverne le monde. On réfute les lois de la causalité, on réfute la réflexion sur les lois de la nature ».
Ambigüité savamment entretenue
Cela signifie-t-il la disparition de la science en terre d’Islam? Il ne faut pas exagérer, rétorque Mme Charfi. « Il ne faut pas penser que la science est absente de certains pays d’islam, au Maghreb, au Proche-Orient, au Pakistan, qui avaient une longue tradition en la matière. Abdus Salam, Prix Nobel de physique en 1979, avait suivi ses études et ses recherches en Angleterre.
Mais ce qui domine, c’est un discours ambigu à l’égard de la science. On s’arrange pour que la science fasse partie du texte coranique et que l’islam soit la vraie religion sœur de la science ».
Et de donner un exemple éloquent: « Les musulmans ont des montres qui calculent scientifiquement les horaires de prière pour l’année. Mais, pour les fêtes religieuses, on attend la veille que le croissant de lune soit visible pour déterminer l’horaire. Une illustration de cette ambiguïté ».
Voilà l’un des nombreux exemples cités par Faouzia Charfi dans son récit des relations entretenues par l’Islam et la science depuis plus d’un millénaire. Passionnant.