‘Facebook’, utilisé par près de trois milliards d’êtres humains, passe par une crise grave, sans précédent depuis son émergence comme le plus grand réseau social du monde. Les malheurs de Mark Zuckerberg proviennent d’une ancienne collaboratrice, muée en ‘lanceuse d’alerte’ (whistleblower).
Avant de quitter son poste en mai dernier, Frances Haugen, ingénieure informaticienne chez ‘Facebook’, a pris soin d’emporter avec elle des centaines de documents confidentiels qu’elle a remis au Wall Street Journal. Une aubaine pour le journal des milieux d’affaires new yorkais qui en fait mi-septembre une série d’articles embarrassants pour le géant des réseaux sociaux.
Le principal reproche que fait la lanceuse d’alerte à son ancien employeur est qu’ « il privilégie le profit financier à la sûreté des utilisateurs ». D’où son insistance que son initiative « vise à faire évoluer ‘Facebook’ et non à lui causer des dommages ».
Selon les documents confidentiels rendus publics, Facebook a parfaitement conscience que ses algorithmes et son mécanisme de contrôle de contenus, conçus essentiellement pour que les internautes restent sur le réseau social, favorisent la diffusion des échanges où la haine, le racisme, l’agressivité, et les clivages politiques et religieux sont plutôt la règle.
Pourquoi ‘Facebook’ permet-il de tels dépassements? La réponse est simple. La politique de la compagnie consiste à maintenir par tous les moyens l’utilisateur le plus longtemps possible sur le réseau social. Plus l’internaute s’active, plus le prix des annonces publicitaires est élevé et plus Mark Zuckerberg gagne de l’argent.
Or, rien ne retient plus les internautes sur les réseaux sociaux que les contenus problématiques, chargés de controverses politiques, religieuses ou ethniques. Et ce, de par les commentaires et les réactions interminables qu’ils suscitent entre les protagonistes surfant sur ‘Facebook’. En d’autres termes, Mark Zuckerberg n’a aucun intérêt à faire baisser les tensions, les hostilités et la fureur qui enflamment souvent son réseau social dans les quatre coins de la planète.
« Des dégâts un peu partout dans le monde »
Selon Frances Haugen, les rapports internes de ‘Facebook’ soulignent le fait que « les discours de haine, l’exacerbation des clivages politiques et religieux ainsi que la désinformation causent des dégâts un peu partout dans le monde. » Elle cite un document de 2019 qui signale que « des partis politiques européens, ayant compris la mécanique de Facebook, privilégient à dessein les positions extrêmes dans leurs posts, pour faire réagir et susciter l’indignation. » Un pain béni pour Zuckerberg qui voit sa fortune croitre au rythme des flux incessants de haines, d’invectives et d’insultes que charrie son réseau social.
Pour avoir une idée des rentrées faramineuses d’argent dans les caisses de ‘Facebook’, il faut avoir en tête le montant incroyable de pertes subies par cette Compagnie lors de la panne générale qu’ont connus ‘Facebook’ et ses succursales ‘Instagram’, ‘Messenger’ et ‘WhatsApp’ le 4 octobre dernier. Soit près de sept milliards de dollars pour un arrêt de six heures…
Le choc causé par les révélations contenues dans les documents confidentiels de ‘Facebook’ a poussé la Commission du Commerce au Sénat à inviter Frances Haugen à venir témoigner. Ce qu’elle a fait le 5 octobre.
Faisant face à trois sénateurs, elle affirmé que « Facebook cible intentionnellement les adolescents, y compris les enfants de moins de 13 ans » ; « le manque de transparence sur le fonctionnement des algorithmes de Facebook rend impossible toute réglementation » ; « la plateforme ne consacre pas des quantités égales de recherche et de ressources à la désinformation et au discours de haine envers le contenu non anglais, alimentant ainsi la violence dans des endroits comme l’Éthiopie. »
« Héroïne américaine du 21e siècle »
Frances Haugen a suggéré aux autorités fédérales américaines « un certain nombre de mesures à prendre pour réglementer Facebook, y compris un organisme gouvernemental indépendant composé d’anciens techniciens qui comprennent le fonctionnement de l’algorithme. »
Le sénateur Ed Markey a comparé Facebook à « Big Tobacco qui incite les jeunes enfants à essayer leurs premières cigarettes. » Selon lui, la plateforme de Mark Zuckerberg agit de manière similaire: « Un premier compte sur les réseaux sociaux est conçu pour que les enfants restent des utilisateurs à vie. »
Le sénateur Markey adresse ce message au patron de ‘Facebook’’: « Votre temps d’envahir notre vie privée, de promouvoir le contenu toxique en s’attaquant aux enfants et aux adolescents est terminé. Le Congrès prendra des mesures. Nous ne permettrons plus à votre entreprise de nuire à nos enfants, à nos familles et à notre démocratie. »
Il n’a pas tari d’éloges envers Frances Haugen qu’il a qualifiée de« héroïne américaine du 21e siècle. Les Américains lui doivent une énorme dette de gratitude pour son courage. »